Brexit : et le passeport européen ?
Le jeudi 23 juin, les Britanniques ont voté “out”. Le Royaume-Uni va donc démarrer une procédure de sortie de l’Union Européenne (UE) autorisée par l’article 50 du traité européen de Lisbonne qui « prévoit un mécanisme de retrait volontaire et unilatéral d’un pays de l’UE [en informant] le Conseil européen de son intention ». Le Royaume-Uni aura donc deux ans à partir du démarrage des négociations pour effectuer son retrait de l’organisation européenne : négociations devant officiellement démarrer fin mars 2017 selon Theresa May. Cette sortie indique la fin du « Passporting » ou passeport européen pour les entreprises de la City, système de passeport permettant notamment à chaque compagnie d’assurance d’exercer dans la totalité de l’Union à partir du moment où elle a eu l’autorisation d’opérer dans un des pays membres. Comment envisager l’avenir pour les assureurs dans un tel contexte ?
Qu’est-ce que le passporting ?
Le passporting « permet à un assureur vie ou non vie, qui dispose des agréments nécessaires dans son Etat membre d’origine, de s’installer ou de vendre librement ses produits d’assurance dans les autres Etats membres de l’Espace Economique Européen » . Sans ce passeport, les entreprises européennes sont confrontées à deux situations différentes :
– Les entreprises originaires du Royaume-Uni doivent signer des accords avec les pays avec lesquels elles souhaitent travailler.
– Les entreprises originaires d’autres pays doivent mettre en place des filiales au Royaume-Uni (engendrant des coûts de mise en place, de capital…) et obtenir l’agrément nécessaire pour s’installer sur les îles britanniques.
Selon Standard& Poor’s, le nombre de compagnies d’assurance touchées par le Brexit représente 562 assureurs dommages et 177 assureurs vie (hors Royaume-Uni). Au total, ce sont 13 500 entreprises du secteur financier qui sont concernées :
– 8 008 avec un passeport entrant (c’est-à-dire émis par l’un des 27 autres Etats membres de l’UE pour leur permettre de faire des affaires en Grande-Bretagne),
– 5 476 avec un passeport sortant (émis par une autorité britannique au profit d’une entreprise britannique pour lui permettre d’accéder au reste de l’Union)
Ces chiffres proviennent d’une demande directe d’un comité du Trésor britannique chargé d’évaluer l’impact du vote « out ». « Ces chiffres nous donnent une première idée des effets de la perte d’un accès intégral au marché unique dans les services financiers. L’activité menacée pourrait être importante », a déclaré Andrew Tyrie, président du comité du Trésor.
L’enjeu de la sortie des Britanniques de l’UE est vraiment de taille quand on rappelle que jusqu’à présent le Royaume-Uni était le premier marché assurantiel de l’UE avec 241 milliards d’euros de primes et un encours de 2.480 milliards d’euros d’investissement. Il cède donc sa place à la France : 197 milliards d’euros de primes et 2.140 milliards d’euros d’investissement, puis à l’Allemagne.
3 scénarios de sortie envisageables
– Le Royaume-Uni devient membre de l’Espace Economique Européen au même titre que la Norvège, l’Islande et le Lichtenstein.
Le principal point positif de cette solution est le maintien de l’accès au marché unique et du passeport européen
. Il est facile de se dire que cela pourrait être la bonne solution, mais cela serait sans compter sur les pressions sociales qui ont poussé les Britanniques à voter la sortie de l’UE. En effet, l’accès au marché unique implique également la libre circulation des personnes, chose à laquelle le Royaume-Uni s’oppose fortement suite aux problèmes des migrants, notamment ces deux dernières années.
– Le Royaume-Uni signe un accord bilatéral sur mesure avec l’UE comme la Suisse.
Cela vise à négocier des accords sur des secteurs ou des sous-secteurs limités. Sur la base de ce qui a été fait pour le pays helvétique, cette législation permet un libre établissement en assurance directe non vie entre la Suisse et l’UE. Il n’inclut en revanche ni la libre prestation de services, ni l’assurance vie. Outre la difficulté de négocier de tels accords (17 ans pour la Suisse), ceux-ci sont statiques. C’est-à-dire qu’ils ne prennent pas en compte les évolutions du droit de l’UE. Il faut donc réunir à chaque fois, un comité mixte qui décide de les intégrer ou non dans l’accord.
– Le Royaume-Uni négocie un accord de libre-échange avec l’UE comme c’est le cas actuellement avec la Turquie, la Corée du Sud ou l’OMC.
Ici il n’est pas question de passeport, mais de restructuration des compagnies d’assurance (britanniques et européennes) par le biais d’entités locales agrées par la Prudential Regulation Authority (PRA) et soumises au contrôle du PRA et de la Financial Conduct Authority (FCA). Etant donné le nombre d’entreprises concernées, la charge administrative de cette solution semble dépasser les capacités de faisabilités des différentes administrations concernées.
Opportunité pour la France ?
Et si Paris devenait demain pour l’assurance ce que Londres représente aujourd’hui pour le secteur bancaire ?
Pas impossible ! Quand on observe déjà que la France est considérée comme étant à la pointe de la numérisation de l’assurance et de l’innovation juridique. En tout cas, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR ) font tout pour attirer les compagnies européennes en France :
– Une procédure accélérée est mise en place par les deux entités qui ont communiqué : « la procédure d’agrément pourra être accélérée et simplifiée, en se fondant notamment sur les documents en anglais déjà disponibles, par exemple ceux ayant déjà été présentés aux autorités de supervision du pays d’origine ou ceux qui concernent la succursale dont l’activité serait reprise par la filiale ». De plus, l’ACPR s’est munie d’une boîte mail dédiée au Brexit pour répondre à toutes les questions que se posent les entreprises concernées.
– Pour permettre plus facilement l’installation de nouveaux établissements en France, les entreprises demandeuses se verront attribuer un référent anglophone pilotant toute la procédure. Il pourra même en amont du dépôt de dossier, fournir les conseils et avis utiles pour une prise en charge optimale.
– Pour les Fintechs est proposé un 2WeekTicket : un agrément faisant office de pré-autorisation pour entamer les démarches de domiciliation sous deux semaines.
Aujourd’hui, l’heure est encore à l’indécision. Theresa May, la nouvelle Première Ministre britannique peine à choisir entre un ‘Hard Brexit’ impliquant un contrôle d’immigration européenne, et un ‘Soft Brexit’ pérennisant l’accès au marché unique. La perte de l’accès à ce marché pourrait coûter entre 30 et 50 milliards d’euros à la place financière britannique et entre 60.000 et 100.000 emplois, selon les estimations. Mark Garnier, le sous-secrétaire d’Etat britannique au Commerce international, a cependant nuancé lors d’une interview « Si nous pouvons créer une déclinaison hybride de tout cela, une meilleure version de l’équivalence ou une version différente du passporting, c’est ce à que nous essayons de parvenir. Nous n’essayons pas de rentrer dans une boîte existante, mais de créer un nouveau modèle ». Affaire à suivre…