LA BLOCKCHAIN AU SERVICE DU SECTEUR DE L’ASSURANCE
La blockchain est majoritairement présentée comme une solution numérique bouleversante, ayant vocation à incarner une nouvelle révolution technologique et sociétale, après celle d’Internet. Concrètement, elle se présente comme une base de données décentralisée et visible de tous, permettant ainsi le stockage et la transmission d’informations de façon autonome. Selon le ministère de l’économie, elle permettrait d’offrir de hauts standards de transparence et de sécurité de par son fonctionnement sans organe central de contrôle (pour en savoir plus, rendez-vous sur cette page du site du ministère de l’économie).
La blockchain se décompose ainsi en trois thématiques : la dimension technologique, la dimension financière, et la dimension sociale et communautaire. En outre, n’oublions pas que la valeur intrinsèque de la blockchain réside dans la communauté. Le projet initial derrière le système de cryptomonnaie, illustré dans un premier temps par l’apparition du Bitcoin, est la démocratisation de la finance et la responsabilisation de l’individu, le seul compétent vis-à-vis de son actif. L’émancipation financière induit par la blockchain, et l’indépendance obtenue par rapport au système financier actuel implique la responsabilisation des utilisateurs de cryptoactifs.
Actuellement, de nombreuses entités bancaires et assurantielles se lancent dans des projets blockchain. Selon le Hub de la Fédération Française de l’Assurance, récemment renommée France Assureurs, la technologie blockchain est pleine de promesses pour le secteur de l’assurance. Quelles sont-elles ?
La blockchain au service de la conformité et de la digitalisation dans le secteur financier
Qu’est-ce que la blockchain ?
Le concept de blockchain est apparu en 2008 avec Satoshi Nakamoto, une personne ou un collectif se cachant derrière ce pseudonyme. La blockchain a donc vu le jour dans un contexte de crise économique, de scandales financiers et de perte de confiance dans les institutions bancaires suite à la crise des subprimes. En réponse à cette crise, le BTC (Bitcoin) a fait son apparition dans les applications blockchain en 2009 sous la forme d’un logiciel open-source en tant que système financier alternatif. Il s’agit du premier cryptoactif parmi les milliers de cryptomonnaies existantes actuellement.
L’Assemblée Nationale indique dans l’un de ses rapports datant de 2018 que « la blockchain est un registre, une grande base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs, tous également détenteurs de ce registre, et qui ont également tous la capacité d’y inscrire des données, selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique très bien sécurisé grâce à la cryptographie ». Cette base de données appelée blockchain contient l’historique de tous les échanges réalisés entre ses utilisateurs depuis sa création. Il s’agit alors d’une technologie de validation et d’historisation de transactions fonctionnant sans organe centrale de contrôle, et reposant sur les cinq grands principes suivants :
- Partage de l’information
- Désintermédiation
- Consensus
- Immuabilité
- Transparence
En effet, les transactions sont validées au travers d’un réseau blockchain via un mécanisme de consensus se matérialisant par des algorithmes informatiques, et chaque membre du réseau vérifie l’intégrité du système. Aucune entité centrale ne contrôle le réseau ou ne joue le rôle de tiers de confiance dans une blockchain dite publique. Une fois validées, les transactions sont cryptées via des algorithmes, et regroupées en blocs qui vont former la chaîne d’informations. La sécurisation et l’inviolabilité des transactions est garantie par les procédés cryptographiques. De même, la blockchain assure une transparence totale des informations sous couvert d’anonymat. L’inscription des données ou les transactions réalisées à partir de la blockchain auront donc pour caractéristique une plus grande rapidité, productivité et sécurité.
Contexte et cadre juridique de la blockchain
Afin de prendre place et de maintenir son existence dans le secteur assurantiel, la blockchain se doit de se mettre au service de la conformité et de la digitalisation dans l’assurance. En effet, le respect des dispositions législatives et règlementaires, ainsi que des normes déontologiques du secteur est primordial. Le contexte général est au durcissement des règles par le régulateur et à une exigence accrue des clients vis-à-vis de leur expérience et de l’utilisation de leurs données. De plus, les risques de non-conformité peuvent s’avérer très élevés, au regard des sanctions légales ou règlementaires, des pertes financières et de la détérioration de l’image qui en résultent.
La réglementation des solutions utilisant la technologie de la blockchain est encore aujourd’hui très immature et en cours d’instruction par les différents organismes financiers à travers le monde. Afin de pallier ces manquements, divers projets de réflexion ont vu le jour au sein de la communauté blockchain, de consortiums d’entreprise et d’instances juridiques pour construire et clarifier la réglementation du secteur. Pendant ce temps, de nombreux chantiers voient le jour. Les cas d’usage de la blockchain sont très nombreux, tous les services reposant sur la confiance étant éligibles à l’usage de cette technologie.
Une technologie blockchain au service de nombreux cas d’usage
Pour résumer, la blockchain comprend trois grands cas d’usage génériques :
- Le transfert d’actifs, notamment de cryptomonnaies et de tokens (jetons numériques)
- La traçabilité, l’authentification et la certification des informations qui y sont inscrites (un cas d’usage particulièrement apprécié dans le cadre de la Supply Chain)
- La création de Smart Contracts (Contrats Intelligents) et de dAPPs (decentralized Applications, soit des Applications Décentralisées)
Le projet Ethereum est un protocole d’échange décentralisé créé en 2015 par Vitalik Butterin et qui permet de concevoir des Smart Contracts. Ce sont des contrats « intelligents » préétablis, qui sont en réalité des lignes de code, s’autoexécutent automatiquement suite à la réalisation des conditions définies au préalable dans une programmation d’hypothèses. Un Smart Contract permet l’échange d’argent, de propriété, d’action ou de tout autre élément valorisé entre deux utilisateurs sans possibilité de fraude. L’idée est d’automatiser un contrat en utilisant l’immuabilité de l’écosystème blockchain. La marge d’erreur est considérablement diminuée par le code informatique. Un Smart Contract est permanent, car une fois exécuté il n’y a pas de retour en arrière possible à moins d’y avoir inséré une fonction pour le détruire. Les créateurs ont donc la responsabilité de la vulnérabilité du contrat.
L’assurance de demain : les différents cas d’usages et apports de la blockchain
Les solutions blockchain pour l’assurance de demain
La blockchain, support de la cryptomonnaie, permet déjà de valider des transactions sans intermédiaire et ce, dans un délai très court. Cette technologie disruptive présente aujourd’hui de très nombreuses opportunités à explorer, notamment dans le secteur de l’assurance. Les tendances actuelles du secteur sont multiples, à commencer par l’évolution de la masse assurable et au développement de nouveaux risques liés au numérique et à l’accentuation des risques climatiques. Les assureurs doivent s’adapter à de nouveaux types de litiges, parfois plus fréquents et importants en termes d’indemnisation. De plus en plus de consortiums voient ainsi le jour, des entreprises se réunissant en groupes de travail pour faire émerger de nouvelles solutions (Blockchain Insurance Industry Initiative – B3I, Archipels, komgo, Clipeum). La blockchain pourrait répondre à certaines problématiques du secteur, notamment en favorisant le partage de données sécurisées entre les assureurs, le paiement en temps réel et la réduction des coûts.
En termes de KYC, la blockchain est un levier pour perfectionner la vérification de l’identité du bénéficiaire ou de l’émetteur d’une transaction et/ou d’un contrat d’assurance. En réduisant le risque d’erreurs, humaines et informatiques, le risque de fraude ou d’usurpation d’identité est d’autant plus affaiblit. Le partage d’informations clients entre assureurs et l’interaction avec les concurrents est favorisé au bénéfice de ces clients. Ils pourraient en effet effectuer une résiliation immédiate à tout moment, ainsi que finaliser et verrouiller une souscription en temps réel pour un autre contrat.
Initiative PCC
Parmi les initiatives lancées dans le monde de l’assurance se trouve le projet PCC (Passport for Connected Car). Il s’agit d’une plateforme d’échange inter-assureurs de données certifiées pensée par un consortium d’industriels automobiles et d’assureurs, piloté par un Institut de Recherche Technologique et une start-up Blockchain. Cette solution consiste en un outil de traçabilité et de certification des données du véhicule pendant l’ensemble de son cycle de vie.
D’une part, ce passeport permet à l’utilisateur du véhicule de bénéficier d’une plateforme de confiance de stockage, de traçabilité et de consultation instantanée de données certifiées issues de son véhicule (données de kilométrage, d’entretien ou de réparation, de contrôle technique, de souscription de services, preuves de propriété, de cession ou de mise à la casse, etc.).
D’autre part, les acteurs de la filière automobile et les assureurs bénéficient d’une architecture décentralisée de stockage d’informations, à partager, échanger ou monétiser entre acteurs pour favoriser le développement économique du secteur. L’assureur pourra ainsi fournir une évaluation optimisée et sur-mesure des risques de panne ou d’accident.
Initiative Dalion
Par ailleurs, la plateforme Dalion est une plateforme d’identité numérique autogérée. Le projet réuni un consortium espagnol travaillant autour d’une plateforme d’identité numérique autogérée via la blockchain, le SSID (Self Sovereign Identity). La solution est développée par onze grandes banques, assurances, fournisseurs d’énergie et IT, et suivie par des institutions publiques. Elle consiste pour les entreprises à renforcer notamment les processus KYC en certifiant l’intégrité, la qualité et l’authenticité de l’information. Mais également d’améliorer les solutions d’authentification unique SSO pour tous les services sur Internet.
Enfin les entreprises pourront se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée en gagnant du temps sur des activités chronophages, en passant par le remplissage automatique de formulaires pour la souscription à des services (location de voiture, changement d’assurance, demande de prêt). Côté utilisateur, son expérience est améliorée via un parcours simple et innovant. Il bénéficie également du contrôle de ses données en paramétrant le partage de la data aux entreprises depuis son portefeuille d’identité sur son smartphone.
Les gains pressentis
Les gains pressentis sont nombreux, à commencer par la simplification des démarches administratives. Selon B3I, la blockchain permettrait de réaliser jusqu’à 30% de gains de productivité administrative dans les industries, entraînant ainsi une réduction significative des coûts. En augmentant l’efficacité des transactions, les entités peuvent allouer leurs ressources à des activités générant une plus grande valeur ajoutée.
Les transactions et les contrats issus de la blockchain sont plus transparents et sécurisés, la transparence des informations garantissant le suivi et la surveillance des mouvements effectués sur la blockchain.
Par ailleurs, la blockchain permet de rendre l’assurance plus juste et accessible pour tous, en replaçant l’humain au cœur des échanges. La blockchain valorise la donnée, et redonne le pouvoir à chacun sur ses données. Les clients récupèrent en souveraineté par rapport au contrôle de leurs données.
De plus, en automatisant le versement des indemnisations, en simplifiant la vérification de l’identité ou en autorisant les transactions et emprunts immédiats pour tous, l’usage de la technologie blockchain conduit à la simplification des parcours client. Dans un monde de plus en plus digital, les clients exigent à présent la fluidification des parcours de bout en bout, à charge pour les entreprises de réduire les frictions sur toute la chaîne de valeur.
Les obstacles à l’industrialisation de la blockchain et les pistes de solution
Selon les premiers retours d’expérience faisant suite à l’utilisation de la technologie blockchain, quelques obstacles existent et peuvent freiner son industrialisation. De nombreux risques affectant la blockchain émergent de son environnement, et nécessitent un suivi rapproché compte tenu de leur caractère non contrôlable.
- Les Oracles : un Oracle pourrait manipuler le marché. L’Oracle est l’élément déclencheur qui lance l’exécution du contrat de manière automatique. Il s’agit en fait de l’interface qui fait le lien entre l’extérieur de la blockchain et celle-ci. Or, si les prix indiqués par l’Oracle sont imprécis par exemple, ceux-ci peuvent entraîner des opérations non souhaitables. L’Oracle Chainlink agrège les données de différentes sources pour trouver le meilleur prix à un instant t, tandis que Coinbase utilise une unique source de prix. Les Oracles nécessitent de la confiance, une notion allant à l’encontre d’un principe même de la blockchain. Par conséquent, il existe des Oracles automatisés fonctionnant grâce à un mécanisme de consensus (consensus-based oracle) ou par preuve d’honnêteté (TLS Notary proof).
- La volatilité : les cryptomonnaies étant totalement imprévisibles, leur cours est très volatile.
- L’anonymat : sur une blockchain publique, certains membres de la communauté pourraient décider de faire du détournement de fonds et du blanchiment d’argent sous couvert d’anonymat. Cependant si le reste de la communauté décide de traquer ces individus, il est possible de les « blacklister » ou d’appliquer des traitements préférentiels envers certaines personnes, cela allant évidemment à l’encontre de l’un des fondements de la blockchain.
- L’attaque des 51% : si les tokens au sein d’une blockchain ne sont pas assez distribués, il y a un risque d’attaque des 51%. Cette situation aurait lieu si une personne détient 51% de la puissance de calcul, cependant il lui faudrait plus d’énergie que l’humanité n’a jamais produit donc ce serait visible à minima. Mathématiquement, n’importe qui pourrait ramasser tous les Bitcoin, à condition de trouver l’énergie équivalente.
- La consommation d’énergie : la blockchain est une technologie controversée en raison de son caractère énergivore. A titre d’exemple, la consommation énergétique annuelle du BTC équivaut à la consommation en Irlande sur une même année. La consommation d’énergie associée au PoW (Proof of Work) est très élevée car il est nécessaire d’alimenter la puissance de calcul capable de résoudre les algorithmes mathématiques. Pour pallier ce problème, des recherches sont menées pour créer des green blockchains (blockchain écologique). Dans l’attente de ces dernières, une tendance actuelle est le passage du PoW au PoS (Proof of Stake), un processus de validation moins énergivore par la suppression des mineurs au profit de validateurs.
- L’encadrement juridique : au niveau juridique, la blockchain n’est pas encore très réglementée et ses membres sont encore aujourd’hui soumis à un flou juridique généralisé à travers le monde. Des projets de réflexion sont menés au sein de la communauté, de consortiums et d’instances juridiques pour construire et clarifier la réglementation du secteur.
- D’autres risques : nous pouvons citer les risques de congestion du réseau, les risques réglementaires et enfin les risques de tous les actifs du protocole. En effet, chaque actif s’intègre dans le protocole avec ses propres risques.
Conclusion
La blockchain est un levier pour le monde de l’assurance. Cette technologie permet notamment d’assumer une plus grande volumétrie d’échanges entre les assureurs. En effet, ce registre décentralisé de transactions permet une gestion fluide de flux de données volumineux, dans des délais très intéressants. D’autre part, la blockchain assure une grande traçabilité des données tout en maintenant un haut niveau de confidentialité. Enfin, les économies potentielles seraient de 30%, voire plus selon les cas d’usage, permettant aux entreprises de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée.