D’ici 2030, la France pourrait faire face à une pénurie de 15 millions de salariés très qualifiés, soit 6,5% du PIB. Selon une étude du cabinet de recrutement Korn Ferry, parue en mai 2018, le domaine des services financiers serait particulièrement impacté, avec un manque à gagner de 50 milliards d’euros.

L’assurance : un secteur en  pleine transformation

Plus spécifiquement, le secteur de l’assurance pourrait pâtir de cette pénurie. Avec une image quelque peu ternie, le secteur arrive en effet en 18e position du classement des 30 secteurs les plus attractifs auprès des jeunes. La crise de 2008, l’émergence des Fintechs et l’arrivée de nouveaux acteurs à l’ADN digitale reconnue sont autant de facteurs qui contribuent à expliquer ce déficit de popularité.

Faire évoluer les modes de travail

Les assureurs ont pour la plupart pris le virage du digital, en investissant dans les nouvelles technologies. Mais leur culture managériale demeure traditionnelle. Les postes de responsable de la stratégie digitale, de community manager, d’UX-designer aujourd’hui indispensables, nécessitent de faire appel à la jeune génération. Il faut donc faire évoluer les modes de travail, proposer une transformation de l’encadrement managérial et développer un environnement favorable. Bien sûr, l’assurance est loin d’être seule à faire face à ce défi. Alors, pourquoi ne pas aller chercher l’inspiration ailleurs, et par exemple, du côté de… l’hôtellerie ?!

Entendre la voix de la jeune génération

Pourquoi l’hôtellerie ? En juin dernier, Le Club Les Echos Digital recevait Sébastien Bazin, CEO d’AccorHotels, pour présenter la stratégie – inspirante – du groupe. Avec 3% de croissance par an et 330 millions d’emplois, le secteur de l’hôtellerie ne pouvait échapper à l’expansion tentaculaire des géants du numérique. Pour faire face à la concurrence de Booking, d’Airbnb, ou des GAFA, encore peu prédictible il y a quelques années, Sébastien Bazin s’est pleinement emparé de la question du digital.

En 2017, le groupe recrute Maud Bailly, passée par la SNCF et Matignon, au poste de Chief Digital Officer. Sa mission : piloter la transformation digitale du groupe, en reportant directement au CEO. Une position clef qui l’amène à porter des enjeux majeurs aux quatre coins du monde. Le duo Bazin-Bailly n’envisage pas une intégration réussie du digital au sein du groupe sans l’embarquement réussi des équipes, et un travail de pédagogie.

L’âge ne doit pas donner la décision

Sébastien Bazin et Maud Bailly partagent une même conviction : « l’âge ne doit pas donner la décision ». Ainsi la clef ne réside pas tant dans le recrutement de profils plus jeunes que dans le mélange des générations. Le déménagement du groupe AccorHotel en 2016 dans un nouvel espace moins cloisonné à Issy-les-Moulineaux en a été l’un des vecteurs.

L’objectif ? Briser les logiques de hiérarchie qui entravent la collaboration, l’agilité et l’apprentissage collectif du digital. Plus propice à l’idéation, au « Test and Learn« , cette organisation donne aux employés la possibilité de se rencontrer entre générations et accélère l’acculturation au digital. Proche de l’esprit propre à la Sillicon Valley, cet environnement tend à séduire les jeunes diplômés qui recherchent un cadre plus collaboratif et souple.

Les assureurs ont également pris le pas et adoptent progressivement de nouvelles méthodes de management qui allègent les processus et réduisent le phénomène de bureaucratie. La révolution des espaces de travail et l’intégration d’outil digitaux permet de revoir la culture des entreprises qui promeuvent alors le télétravail ou des horaires plus flexibles.

Aller plus loin

Mais Sébastien Bazin a choisi d’aller plus loin. Si les jeunes créent aujourd’hui des entreprises qui réussissent, il est impératif pour les grands groupes de permettre à leurs propres jeunes talents de s’exprimer. Toujours dans un objectif de décloisonnement, le groupe lance alors à la demande du CEO un Shadow Comex : 14 collaborateurs de moins de 35 ans parmi les plus prometteurs, sélectionnés dans le respect de la parité et de la diversité. Les membres ont accès à l’ensemble des informations de l’entreprises et challengent les sujets discutés au Comex. Sébastien Bazin affirme, qu’au-delà de faire entendre la voix des plus jeunes, ce mode de gouvernance permet de remettre en question certaines orientations par l’apport d’un regard neuf, parfois plus pragmatique et plus réaliste.

Et l’assurance, dans tout ça ?

Forte de ces bonnes idées, l’assurance peut-elle espérer séduire les jeunes diplômés en adoptant cette méthode de management ? Certainement, car avec un âge moyen proche de 40 ans le secteur pâtit d’une réputation peu dynamique, et de hiérarchies marquées. Précurseur, la Macif a suivi l’initiative d’Accor en créant en 2016 un comité de direction consultatif composé uniquement de salariés de 35 ans au plus.

L’enjeu est majeur car l’assurance, en plein rajeunissement, embauche 13 000 employés chaque année et 6 recrutés sur 10 ont moins de 30 ans. Les nouvelles technologies telles que le Big data ou la robotique requièrent l’emploi de jeunes talents maitrisant les dernières innovations. C’est en donnant une image moderne, en faisant confiance aux jeunes et en les intégrant d’emblée à la stratégie digitale que le secteur pourra poursuivre sa transformation. Certains assureurs ont ainsi mis en place des méthodes de recrutement originales, comme Natixis qui organise des « afterworks recrutement » avec des escape games.

Attention à la caricature de l’esprit start-up.

L’écueil serait cependant de se méprendre sur les aspirations réelles des jeunes diplômés. La création d’une ambiance de travail plus décontractée peut, certes, les attirer, mais attention : le babyfoot ne parviendra pas à les retenir très longtemps… Comme le souligne l’économiste Nicolas Bouzou :« Il y a des actions plus importantes à mener que de nommer un Chief Happiness Officer ! ».

De même l’assouplissement de la hiérarchie ne signifie pas l’abolition de tout encadrement.  Les jeunes sont toujours en recherche d’une structure, qui ne se traduit pas par une hiérarchie pesante mais par un cadre offrant des opportunités et des parcours de progressions. L’autonomie et la confiance sont des critères de poids. Ainsi des horaires de travail flexibles importent pour 87 % des jeunes diplômés et l’accès au télétravail séduit 59% d’entre eux. « L’entreprise, c’est un projet commun auquel les salariés doivent adhérer, explique Nicolas Bouzou. Ce n’est pas un espace de liberté, mais l’autonomie y a sa place ».

Fixer un cap

L’adhésion autant que l’attraction représente un défi pour l’ensemble des entreprises, et ce d’autant plus à l’heure de la mobilité mondiale. Attirer les talents dans l’assurance c’est bien, les garder, c’est réussir. Selon le baromètre 2018 IPSOS –BCG –CGE*, 92% d’entre-deux considèrent l’intérêt du poste comme primordial, suivi par le bien-être au travail (84%) et l’adéquation avec les valeurs (72%).

Là encore Maud Bailly nous fournit un éclairage intéressant : « Les collaborateurs d’AccorHotels savent que notre activité connaîtra de nombreuses révolutions qui nous disrupteront. Ce qu’ils nous demandent, c’est qu’il y ait un cap, et du sens. »

Du sens à l’assurance

Alors comment donner du sens à l’assurance ?  En contextualisant le service par exemple, et en sachant traduire son importance dans le quotidien d’un client pour ne pas en faire une notion abstraite. Il en va de même pour le digital : c’est l’amélioration de la relation client qui doit être visée et non l’implémentation d’une technologie blockchain à la mode.

Sébastien Bazin livre alors une dernière clef : il faut une figure, une personnalité pour incarner la transformation digitale et embarquer les collaborateurs. Tant qu’un discours de vérité est établi et qu’une vision est donnée aux équipes, alors la feuille de route peut-être mouvante. Au rythme des évolutions technologiques, les leaders qui adoptent cet esprit sont à suivre de très près … et notamment, par l’assurance !

*Qu’attendent les étudiants et anciens élèves des grandes écoles du marché du travail ?