Dans une étude intitulée « l’impact de la réglementation prudentielle Solvabilité 2 sur le financement de l’immobilier par le secteur de l’assurance », des chercheurs de l’EDHEC estiment que la charge en capital fixée à 25% pour les placements immobiliers est « surestimée ». L’enjeu est de taille, au regard des 10 000 milliards d’euros de placements des assureurs en Europe (Insurance Europe, 2016)

Solvabilité II : des exigences de capital

Entrée en vigueur en janvier 2016, la Directive Solvabilité II permettait de passer d’une approche forfaitaire du capital réglementaire et une sous-estimation des risques à une approche plus affinée du calcul des besoins en fonds propres. Le Pilier 1 de la Directive a ainsi introduit deux principales exigences de capital : le minimum de capital requis ou Minimum Capital Requirement (MCR) et le capital de solvabilité requis ou Solvency Capital Requirement (SCR).

Le SCR correspond au montant de fonds propres estimé comme nécessaire pour absorber le choc provoqué par une sinistralité exceptionnelle. Il est mesuré selon la méthode de la Value-at-Risk (VaR), soit la perte potentielle maximale consécutive à une évolution défavorable des prix du marché, dans un laps de temps spécifié et à un seuil de confiance donné (un an et 99,5% pour Solvabilité II). Le SCR se compose de plusieurs modules, dont le SCR Marché, lui-même composé d’un ensemble de six sous-modules, dont l’immobilier, pour lequel la charge en capital a été fixée par le régulateur européen de l’assurance, l’EIOPA, à 25% dans le cadre de la Directive Solvabilité II.

Des choix de calibration contestés

C’est la pertinence de cette calibration du risque immobilier qui est remise en question par une étude réalisée en mars 2017 par deux pôles de recherche de l’EDHEC Business School en partenariat avec le Ministère du Logement et de l’Habitat Durable, qui démontre que le niveau de besoin en capital retenu par l’EIOPA peut « constituer un frein au retour des assureurs vers les marchés immobiliers ».

Les choix de calibration du régulateur sont testés au travers de deux éléments clefs : l’ampleur du choc immobilier, mesuré par la VaR, et la corrélation de l’immobilier avec les autres classes d’actifs présents dans le module de risque de marché (par exemple actions, taux, spreads…). Pour les auteurs de l’étude, deux principales critiques peuvent être apportées à la méthodologie employée par l’EIOPA dans son évaluation : la source des données et le type de données utilisées.

Une première critique réside dans l’origine des données mobilisées par l’EIOPA. En effet, selon le document Solvency II Calibration Paper publié en avril 2010, le régulateur européen s’est basé sur l’indice IPD (Investment Property Databank) du Royaume-Uni. Si les données britanniques présentent l’avantage d’être disponibles avec une fréquence d’échantillonnage plus relativement plus élevée que dans les autres pays européens – les données britanniques sont en effet disponibles à un rythme mensuel, contre un rythme trimestriel pour la France et l’Allemagne – selon l’étude, le marché immobilier du Royaume-Uni demeure néanmoins « assez nettement décorrélé des principaux marchés de l’Europe continentale », avec notamment une volatilité des rendements plus élevée et des points de retournement de cycle précoces. Par ailleurs, pour les autres classes d’actifs, les données utilisées couvrent plusieurs marchés européens.

Une seconde critique repose sur le recours même aux indices IPD. En effet, d’une part, ces indices sont basés sur des évaluations d’experts. Les auteurs proposent ainsi d’utiliser en complément des indices basés sur des transactions effectives. D’autre part, l’indice IPD comprend plusieurs catégories d’actifs immobiliers (logements, bureaux, commerces…) et par conséquent, ne prend pas en compte les gains de la diversification.

Une surestimation des fonds propres

En se basant sur une même période de données que l’EIOPA (de 1987 à 2008), les auteurs de l’étude obtiennent des VaR variables selon la nature de l’actif immobilier – en France, plus élevées en valeur absolue que pour les bureaux – et selon la zone géographique – 14,34% en utilisant l’indice IPD sur les données trimestrielles françaises, 8,50% lorsque l’échantillon est étendu à la zone euro – mais toujours inférieures en valeur absolue à celle retenue par le régulateur dans le cadre de Solvabilité II.

Par ailleurs, l’étude démontre que les « coefficients de corrélation immobilier/actifs financiers retenus par l’EIOPA sont systématiquement surestimés, quels que soient la méthodologie, la zone géographique et le type d’actif immobilier considérés. »

Les auteurs illustrent cette surestimation avec l’exemple d’un assureur détenant 88% d’obligations, 5% d’actions, 5% d’immobilier et 2% de liquidités, pour une valorisation totale de 500 milliards d’euros. Selon les critères de l’EIOPA, les exigences de SCR s’élèveraient à 6,25 milliards d’euros au titre du risque immobilier, contre 3,59 milliards d’euros avec une VaR de 14,34%, soit une baisse de 43% du SCR immobilier, et jusqu’à 10% de moins sur le SCR marché selon les estimations de corrélation retenues.

L’étude conclue ainsi qu’une correction « des biais systématiques identifiés dans les estimations de VaRs et de coefficients de corrélation [engendrerait] une réduction significative des besoins en capital (entre 10% et 20% en fonction de la part de l’immobilier dans le portefeuille). Cela confirme que les calibrations actuelles retenues par l’EIOPA constituent un réel frein au retour des assureurs sur le marché immobilier. »