Apanage des grands groupes et multinationales, le « Fronting », est intimement lié à l’essor des captives de réassurances.

Une captive est une société d’assurance et/ou de réassurance appartenant à une ou plusieurs sociétés industrielles et commerciales. Les captives d’assurances qui exercent au même titre que les assureurs classiques lorsque les lois le permettent sont assez rares parce que dans la plupart des États, les lois sont assez strictes et freinent cette forme de captive (cas de Solvency 2 en UE). Les captives de réassurance sont les plus nombreuses et font l’objet d’une attention particulière depuis la crise financière de 2009. Elles sont généralement implantées dans un pays à fiscalité allégée pour profiter de la réglementation plus souple en matière de réassurance. Ainsi, si en 2012 l’on dénombrait environ 5000 captives dont 144 implantées en France, il convient de préciser que plus de 80% sont des captives de réassurance.[1]

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Utilisation et Avantages de la Captive

 Rappelons tout abord les avantages et surtout les utilisations possibles des captives sur le plan financier fiscal et assuranciel :

  • Effectuer de l’optimisation fiscale : il s’agit dans ce cas de tirer profit des failles du système de contrôle d’opérations financières transfrontalières. En effet, une captive domiciliée « Off-shore » offre l’avantage de la déductibilité fiscale des primes et d’un traitement fiscal avantageux des provisions constituées. Cet argument historique a perdu de sa superbe puisque les USA et l’UE ont pris des mesures pour réduire cette évasion fiscale déguisée.
  • Maîtriser les coûts d’assurance et améliorer la marge brute d’autofinancement des risques : au lieu d’être thésaurisées et conservées par l’assureur traditionnel, les primes encaissées et les réserves détenues pour couvrir les sinistres en cours peuvent être conservées et investies par la captive.
  • Couvrir des risques non assurables ou difficilement assurables par le marché de l’assurance classique (Marée noire)
  • Baisser le taux de transfert des risques au marché de l’assurance classique. La croissance et l’augmentation du capital net d’une captive peuvent permettre à la captive de conserver au fil des ans une part sans cesse croissante des risques de l’entreprise mère.
  • Permettre une meilleure gestion des programmes d’assurances : l’existence d’une captive octroie la possibilité de mieux structurer les programmes d’assurances puisqu’il existe moins de contraintes pour le gestionnaire des risques de l’entreprise.
  • Favoriser une meilleure gestion des risques.Ainsi par le système de répartition des primes entre les filiales et entités du groupe, il est possible de répartir les coûts plus équitablement entre les centres de profits du groupe.

 En somme, la captive favorise une coordination et une uniformisation de la politique de gestion des risques en intégrant toutes les entités du groupe dans ses programmes d’assurances.

 Illustration technique et opérationnelle de l’utilisation de la Captive

fronting

Expliquons le schéma ci-dessus :

  • Les risques des entités du groupes sont mutualisés auprès de la maison mère. Cette dernière se charge même de collecter les primes correspondantes et de rechercher une couverture adéquate sur le marché classique de l’assurance. Au travers des programmes d’assurances, le Risk Manager (RM) assure tout ou partie des risques du groupe auprès d’un assureur Master, et auprès d’autres assureurs du programme.
  • Tous ces assureurs réassurant à leur tour une partie du risque porté auprès d’un réassureur qui n’est autre que la Captive du Groupe. Cette mutualisation n’empêche pas les entités du groupe de s’assurer localement

–       soit parce que la loi l’impose, et c’est le cas des « Stand Alone » ;

–       soit parce qu’une partie du risque reste sous leur responsabilité (Franchise pure).

  • La captive offre donc une panoplie de d’options au Risk Manager pour gérer les risques de son Groupe. Or, comme le démontre l’étude de Guy Carpenter et Olivier Wymann pour MARSH en 2012, « plus une captive est utilisée, plus la dépendance de la société qui la détient diminue sur le marché de l’assurance classique » ; Et c’est à ce niveau qu’entre en jeu le mécanisme du Fronting.

Qu’est-ce que le Fronting ?

Système d’utilisation de la captive de réassurance, le Fronting apparaît comme le montage de couverture du risque qui, associe un assureur appelé « Fronteur », un assuré, groupe industriel ou commercial et un réassureur souvent une « captive » propriété de l’assuré. Avant de s’appesantir sur les bénéfices de ce mécanisme, arrêtons-nous un instant sur sa présentation.

Le Fronting s’est vulgarisé avec la consécration de la fonction de RM[2] dans les multinationales et les organisations. Chargés de gérer les risques aléatoires des groupes, les RM ont très vite saisi et su tirer profit des avantages que la mutualisation des risques vers la Maison Mère représentait.

La mutualisation des risques, qui est l’un des fondements même de l’assurance, est le regroupement d’une multitude de risques qui a pour conséquence de régulariser les effets du hasard. C’est en quelque sorte l’organisation de la solidarité entre les personnes assurées contre la survenance d’un même événement. Ainsi l’ensemble des personnes assurées contre le même risque et, qui cotisent mutuellement pour faire face à ses conséquences, constitue une mutualité.

La mise en commun des sommes versées et gérées par l’assureur permet d’indemniser les assurés victimes d’un sinistre.

Dans le cas présent, pour les groupes industriels et commerciaux, cette mutualisation a l’avantage de peser sur les négociations et conduit à la mise en place des programmes d’assurances, qui permet au Groupe de s’offrir une Couverture adéquate, spécifique et large.

 Exemple de programme d’assurance

fronting 2

Cette mutualisation des risques et surtout cette vision agrégée des risques vont très logiquement faire du RM autant un assuré qu’un assureur :

  • Un assuré parce qu’il propose les risques du Groupe au marché classique de l’assurance
  • Un assureur parce qu’à l’image de l’assureur, non seulement il mutualise les risques de ses filiales et collecte la prime, mais surtout il est soucieux de l’équilibre de son portefeuille.

Hypothèse

Or en observant ce ratio Sinistres/Primes, le RM prend conscience de sa puissance financière (certains groupes paient 50 000 000 €/An de prime) et surtout s’interroge sur la rentabilité financière de son montage assuranciel : est-il économiquement viable pour un Groupe de continuer de faire payer 10 millions d’euros de primes par an pour des risques de moyenne fréquence et gravité alors qu’on a un coût moyen de sinistres par an de 5 millions d’euros ?

Pour répondre à cette question prenons un cas concret qui nous permet aussi de mieux expliquer le phénomène du Fronting.

Concrétisation du Fronting

Une multinationale Industrielle et pétrolière qui génère un grand nombre de risques subit un sinistre grave : un pétrolier transportant sa cargaison fait naufrage et déverse sa cargaison de pétrole dans la mer.

Résultat :

Une cargaison complètement perdue, un pétrolier irrécupérable, les fonds marins et la côte sont souillées et polluées. Bien qu’ayant réussi à réparer financièrement les dommages et préjudices causés par ce sinistre avec l’aide de ses assureurs, le Groupe qui souhaite contracter des assurances après des assureurs classiques pour continuer de se couvrir contre ce risque se heurte à deux situations :

1)     La plupart des assureurs contactés ne souhaitent pas couvrir ce risque de naufrage compte tenu des dommages environnementaux qu’il engendre.

2)     Les assureurs du Groupe qui couvrent déjà ses autres risques, lui proposent certes les garanties demandées mais à des coûts prohibitifs (200% d’augmentation des primes)

Or le Groupe a besoin de s’assurer sur le marché classique de l’assurance, non seulement pour se couvrir face à ces risques et rassurer par la même occasion ses actionnaires, mais aussi et surtout pour donner des garanties et des gages de maîtrise de ses risques aux marchés financiers ; sans oublier les autorités politiques soucieuses de l’intérêt général.

Le groupe qui dispose d’une captive de réassurance envisage au départ de couvrir directement ses risques auprès de cette dernière. Mais cette solution est très vite abandonnée. En effet elle ne rassure ni les actionnaires, ni les marchés encore moins les autorités politiques.

C’est alors que les RM du Groupe vont avoir une idée pour contourner cet écueil :

Le groupe va se rapprocher de l’assureur qui souhaitait le couvrir contre ce risque à des coûts initialement élevés compte tenu de sa gravité. Il va accepter la proposition de l’assureur de couvrir ce risque à une condition : que l’assureur accepte, via un « contrat secret », de réassurer le risque en question auprès d’une société de réassurance préalablement indiquée dans le « contrat secret ». Ce réassureur qui reprendra entre 90 à 100% du risque assuré sera au final la Captive du Groupe assuré. Ainsi puisque selon les principes de l’assurance et du Code des assurances, il n’existe aucun lien direct entre l’assuré et le réassureur, l’opération reste entièrement licite et transparente pour le grand public et les organismes de contrôle.

Au final l’assureur ne couvre le risque du Groupe qu’en apparence. Juridiquement il fait figure d’assureur et rassure autant les partenaires que les tiers du groupe ; mais dans les faits le Groupe est son propre assureur via sa captive de réassurance. L’assureur fait alors « front » aux yeux de la loi : C’est le Fronting.

Illustration Schématique du Fronting

fronting 3

Alors que le Fronting était destiné au départ à gérer les risques graves ou intenses souvent non assurables via le marché de l’assurance classique, il s’est perfectionné au fil des ans pour désormais gérer des risques de fréquence et même de contourner l’obligation d’assurance.

Précisons de prime abord que selon le Code des Assurances, l’obligation d’assurance pour les entreprises concerne :

  • L’assurance des véhicules terrestres à moteur pour le risque circulation[3].
  • L’assurance responsabilité civile décennale et l’assurance dommages-ouvrage des travaux de bâtiment[4].
  • L’assurance habitation au cas où le local sert en même temps de bureau et d’habitation
  • L’assurance des engins de remontée mécanique[5].

Revenons sur la mise en œuvre du Fronting dans la gestion les risques fréquents en reprenant le cas de notre Groupe Pétrolier, qui a également mis sur pieds un système de distribution des produits finis du pétrole (Essence – Gasoil, fioul …). Dans le cadre de son activité, ce Groupe dispose d’une flotte de 15 000 véhicules terrestres à moteurs. Ces véhicules sujets à l’obligation légale d’assurance française sont couverts au travers d’une police « Tous Risques » auprès d‘un assureur classique. L’étude de la sinistralité du groupe sur cette flotte fait ressortir après 5 ans que le coût moyen du sinistre matériel causé et subi par cet assuré est de 1300 € par accident avec une fréquence de 10 accidents par jour. En élargissant son analyse, le RM constate une augmentation croissante de sa prime tous les ans. Cette augmentation est justifiée par le fait que le portefeuille est très consommateur de frais de gestion. En résumé ce qui accroit le prime c’est moins le coût des sinistres que la fréquence de sinistres. Mais comment maitriser cette sinistralité et cette fréquence ?

Un recours direct à la captive du Groupe étant quasiment inenvisageable du fait de l’obligation d’assurance qui pèse sur les véhicules, le RM va recourir au Fronting dans un processus qui se réalisera en deux séquences :

1ère Séquence 

Le RM soucieux du respect de la loi, décide d’assurer sa flotte chez un assureur français par une Police « Tous Risques » (Responsabilité Civile et Dommages) classique. Ensuite au travers d’un contrat secret, ce Risk Manager conclut un engagement annexe avec ce même assureur en lui imposant par un traité de réassurance de réassurer la partie « Dommages » du risque à 100% auprès d’un réassureur : Ce réassureur étant en réalité sa Captive. L’assureur ne reste alors détenteur que du risque de responsabilité civile qui selon la loi est le seul obligatoire en matière. Le RM respecte la loi : C’est le Fronting classique.

2ème Séquence 

La 2ème phase de cette auto-assurance indirecte s’effectue alors tout logiquement lorsque le groupe décide de réassurer entièrement tous les risques du portefeuille auprès de sa captive. Il va ainsi joindre au risque « Dommages », précédemment réassuré à 100%, le risque de « responsabilité civile (RC) ». Or la couverture de ce risque RC étant légalement obligatoire, le groupe en s’auto-assurant par le truchement de sa captive contourne par là même l’obligation légale d’assurance. Sachant que la limite de garantie (montant de l’indemnisation maximale par sinistre offerte par l’assureur) en assurance RC étant le plus souvent élevée 100 000 000 € pour la plupart des assureurs, se pose la question de l’insolvabilité du réassureur en cas de sinistre grave.

En effet si le Code des assurances stipule que « Lors de la réalisation du risque ou à l’échéance du contrat, l’assureur doit exécuter, dans le délai convenu, la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà. »[6], pour fixer les limites de l’intervention de l’assureur ; le même Code des assurances met sur l’assureur une obligation de réparer l’assuré sans lui opposer une quelconque faillite ou carence du réassureur. Le Code des assurances précise ainsi à cet effet que : « Dans tous les cas où l’assureur se réassure contre les risques qu’il a assurés (…) il reste seul responsable vis-à-vis de l’assuré. »[7]

 Qu’advient – alors si la captive, réassureur à 100% du portefeuille est dans l’incapacité de rembourser l’assureur pour cause de faillite ?

La réponse à cette question ouvre la voie d’une confrontation avec la Directive Solvabilité 2 et pourra faire l’objet d’un nouvel article dans notre blog.

 

[1] Notons aussi au passage que la 1ère captive de réassurance européenne est française, elle fut créée en 1973 par le Groupe Total sous le nom « Omnium Insurance and Reinsurance Co Ltd ».

[2] Pour mieux comprendre la fonction du Risk Manager et le Fronting lire l’ouvrage d’Yves L. Maquet « Des primes d’assurance au financement des risques » Ed Bruylant Bruxelles 1991

[3] Voir l’Article L. 211-1 du code des assurances

[4] Voir l’Article L241-1 du Code des assurances

[5] Voir l’Article L.220-1 à 8 du Code des Assurances

[6] Voir Article L113-5 du Code des assurances modifiée par la Loi n°81-5 du 7 janvier 1981 – art. 33 JORF 8 janvier 1981 rectificatif JORF 8 février 1981

[7] Voir Article L111-3 du Code des Assurances ; Modifié par Ordonnance n°2008-556 du 13 juin 2008 – art. 17