Assurance auto et véhicule connecté : entre création et destruction de valeur
Pay As You Drive, Pay How You Drive, ou encore Manage How You Drive, nombreux sont les produits d’assurance auto connectée à être apparus au cours des dernières années. Bien que les véhicules connectés semblent être un levier de croissance pour les assureurs, la réalité est plus contrastée. Comme l’a mentionné Patrick Durand au cours de son intervention à la conférence organisée par l’Argus de l’assurance, le marché de l’assurance auto pourrait structurellement se transformer lorsque les véhicules autonomes apparaîtront massivement et modifieront notre rapport à la mobilité.
L’assurance auto connectée en 2018 : une réalité séduisante mais qui peine à s’imposer
L’apparition des véhicules connectés et d’une nouvelle génération d’offres d’assurance
Les véhicules connectés se caractérisent par leur capacité à collecter de l’information sur leur environnement immédiat, la transmettre, et réaliser des actions en temps réel. Actuellement, 100 millions de véhicules connectés sont en circulation, et ce chiffre pourrait atteindre 470 millions en 2025. Grâce aux nombreux capteurs embarqués à bord, ces véhicules sont en mesure de collecter des données de conduite, telles que l’accélération, les freinages, ou encore la manière d’aborder un virage. Les assureurs, attirés par la richesse de ces données, ont rapidement souhaité accéder à ce vivier et ont conçu une nouvelle génération d’offres d’assurance auto visant à tirer profit de ces évolutions technologiques. Rares sont ceux qui ne proposent pas une offre d’assurance comportementale, dont les exemples les plus emblématiques sont le Pay As You Drive (une assurance basée sur la distance parcourue par l’utilisateur) et le Pay How You Drive (une assurance basée sur le comportement de conduite de l’utilisateur).
La mutualisation des risques est historiquement l’un des fondements des assureurs. Or, aujourd’hui le véhicule connecté vient bouleverser ce principe et ouvre la voie à la personnalisation des offres. En effet, les véhicules connectés permettent aux assureurs de collecter et d’analyser de nombreuses données de conduite. De ce fait, ils ont une connaissance plus fine du comportement de conduite de chaque client et de ses risques. C’est grâce à cette évolution technologique que les offres d’assurance auto comportementales ont vu le jour. Les assureurs individualisent les offres à chaque client : les primes payées par chaque assuré lui sont propres, et sont ajustées régulièrement en fonction de la distance qu’il parcourt ou de son comportement de conduite.
Un marché séduisant tant pour les assureurs que pour leurs clients
La promesse faite aux assurés est séduisante : plus l’assuré est prudent dans sa conduite, plus la réduction de sa prime d’assurance sera importante. Et les gains financiers peuvent être importants : Direct Assurance affiche par exemple une réduction pouvant s’élever jusqu’à -50%. Des offres attrayantes, particulièrement pour les jeunes et les petits rouleurs qui parviennent difficilement à bénéficier de tarifs réduits.
L’assurance auto connectée présente également des intérêts pour les assureurs. Ils aspirent notamment à attirer une clientèle peu risquée, des « bons risques ». En effet, d’une part, les conducteurs à risque ne souscrivent naturellement pas aux offres d’auto connectée par peur de voir leur prime augmenter. D’autre part, les clients qui souscrivent à ces offres sont tentés d’être davantage prudents puisqu’ils sont conscients qu’ils peuvent par ce moyen réduire leur prime. Pour favoriser cette dynamique de sélection positive, les assureurs proposent généralement des conseils à leurs clients afin d’améliorer leur « score de conduite ». Les assureurs évoquent une baisse de la sinistralité de l’ordre de 10% à 20% dans le cas d’assurances auto connectée par rapport aux assurances traditionnelles (entre -15% et -20% pour Carapace de Société Générale, -20% pour YouDrive de Direct Assurance, -11% pour Groupama). Enfin, le dernier élément convoité par les assureurs à travers ces offres est la data. Grâce aux riches données qu’ils collectent (aujourd’hui via un boîtier télématique installé dans l’automobile), les assureurs affirment pouvoir cerner le risque lié à un automobiliste avec beaucoup de précision, et en seulement en 9 mois. Certains songent même à retirer la coûteuse installation télématique passé ce délai.
En France, le succès de l’assurance auto connectée reste très limité
Bien que ces offres présentent de nombreux avantages, leur succès en France reste à ce jour très limité. En effet, moins de 6% des automobilistes Français y ont souscrit. Pourquoi ces offres qui semblent avoir tous les atouts pour convaincre ne se développent pas dans l’Hexagone alors qu’elles se multiplient, par exemple chez notre voisin italien ?
Le principal frein semble être la réticence des automobilistes français à partager leurs données personnelles de conduite. Les personnes interrogées se disent prêtes à partager leurs données à condition que les gains financiers qui en résultent soient suffisamment importants. Mais les assureurs se rendent compte qu’il est difficile d’octroyer des gains conséquents à leurs clients en raison du coût élevé d’accès aux données. En effet, les assureurs doivent généralement équiper leurs utilisateurs d’une solution télématique pour collecter les données (boîtier avec carte SIM, boîtier et application, application seule, vignette connectée, etc.). En fonction de la solution retenue, le coût d’un équipement et de son installation peut varier de 25€ à 75€ par utilisateur. L’accès aux données de conduite représente donc un coût non négligeable. Une équation financière qui reste à résoudre par les assureurs, en fonction du ratio coût/précision de la donnée qu’ils recherchent.
Une inévitable contractation du marché de l’assurance auto des particuliers ?
Des risques de destruction de valeur et beaucoup de difficultés à créer de la valeur
Le bilan des offres d’assurance auto connectée est partagé entre création et destruction de valeur. Bien que le but des assureurs soit d’attirer de nouveaux clients, en réalité ils avouent que 80% de ceux qui souscrivent à leurs offres d’assurance auto connectée font déjà partie de leurs clients. Le risque de cannibalisation des ventes est donc fort et pourrait nuire à la pérennité des assureurs puisque les assurances auto connectée sont en moyenne moins chères que les assurances classiques. A terme, un but partagé par un grand nombre d’assureurs est de créer de la valeur en proposant d’autres services marchands liés à la conduite, la sécurité ou encore les loisirs mais à ce jour aucun n’a su concrétiser ce pari, comme l’avoue Laurent Altountopian, le Directeur Assurance des Particuliers de Groupama : « Une belle histoire mais difficile à transformer en réalité ». Ce constat est partagé par les assureurs de la place qui admettent que financièrement, leur but est de ne pas perdre d’argent.
En mettant en place une offre d’assurance comportementale, leur objectif est généralement de collecter des données, d’améliorer leur compréhension des comportements de conduite et d’affiner leur connaissance des risques client. Une stratégie qui certes paraît pragmatique mais qui pourrait s’avérer infructueuse si nous nous projetons à long terme. En effet à horizon 20 ans les véhicules autonomes vont probablement se démocratiser. Dans ces conditions, le conducteur que l’on connait aujourd’hui deviendra passager et ne supportera donc plus le risque lié à la conduite. L’intérêt d’investir pour connaitre précisément les risques des conducteurs est éphémère car les nouveaux modèles actuaires ne seront plus utilisés si les véhicules autonomes se généralisent. Dans quelle mesure une meilleure compréhension des risques liés à la conduite serait un atout pour les assureurs si demain, le véhicule devient le principal conducteur et le risque ne dépend plus de l’utilisateur mais des véhicules eux-mêmes?
Mobility As a Service : le véritable bouleversement de l’assurance auto reste à venir
L’impact des véhicules connectés sur le marché de l’assurance auto n’est pas négligeable. Cependant, le véritable bouleversement pourrait encore être à venir, et serait causé par l’apparition massive des véhicules autonomes. Leur multiplication pourrait être à l’origine de fortes modifications de nos modes de mobilité en milieu urbain. La mobilité est aujourd’hui principalement une économie de possession puisque la majeure partie des déplacements sont effectués avec un véhicule personnel. Demain, il est probable que nous nous dirigions vers une économie de la mobilité à l’usage, au sein de laquelle le transport automobile serait un service consommé ponctuellement par les utilisateurs. L’autopartage qui a déjà connu un développement fort (comme le montre la multiplication des plateformes telles que Blablacar ou Drivy) est voué à une explosion lorsqu’il sera porté par les véhicules autonomes. En 2021, chaque mois 35 millions d’utilisateurs pourraient faire appel à l’autopartage, soit 6 fois plus qu’aujourd’hui, et en 2030, 1/3 des véhicules neufs pourraient y être destinés. La mobilité est destinée à se réinventer et sa transformation aura un impact énorme pour les assureurs. Le véritable enjeu pourrait être dans la compréhension de ces nouveaux usages.
Dans cette hypothèse, deux voies de développement s’offrent aux assureurs. La première est le développement du B2B2C proposées aux plateformes d’autopartage et destinées à couvrir les utilisateurs de ces plateformes. La seconde est la refonte des offres B2B pour qu’elles répondent aux nouveaux besoins. Demain, la mobilité automobile sera un service souscrit ponctuellement. Cette nouvelle expérience de mobilité impose aux assureurs de transformer leurs business model, et l’expérience utilisateur qu’ils proposent. Les parcours clients devront être fluides, et des étapes clés telles que la souscription ou la résiliation devront pouvoir se faire en quelques instants. L’évolution des usages de mobilité implique une évolution des services proposés par les assureurs. Face à un service de mobilité automobile consommé ponctuellement, les utilisateurs s’attendront à consommer un service d’assurance souscrit le temps d’un trajet. Dans ce cadre, les Systèmes d’Information assez lourds des assureurs ne jouent pas en leur faveur. L’une des clés pourrait être la collaboration avec les start-ups. Certaines Assurtech comme par exemple Trov ou Leocare proposent en effet des solutions pouvant être souscrites en quelques minutes et activables ou désactivables selon le besoin.
Conclusion
L’auto connectée n’a pour l’instant pas été un levier de croissance pour les assureurs, principalement en raison du coût important d’accès aux données. Une création de valeur pourrait tout de même être provoquée par l’intégration de nouvelles technologies comme la blockchain via l’automatisation de certains actes de gestion (souscription, déclaration de sinistre). Progressivement, dans les grandes métropoles un nouveau mode de mobilité apparaîtra à horizon 2035. Cette transformation forte de la mobilité causée par la démocratisation des véhicules autonomes sera un challenge pour les assureurs qui devront proposer des services adaptés aux nouveaux usages. Ils devront par ailleurs se montrer vigilants pour anticiper les risques de concurrence sur ce créneau, notamment en provenance des GAFA. Grâce à leurs assistants vocaux ou leurs véhicules autonomes, ces derniers pourraient bénéficier d’un accès privilégié aux données. La menace est donc sérieuse puisque les GAFA pourraient mettre à profit leur capacité d’analyse de données, de compréhension des usages et de mise à disposition de services pour demain proposer l’assurance auto comme l’un de ces services.
Pour plus d’informations sur les perspectives d’avenir pour le marché de l’assurance auto connectée, retrouvez notre étude complète ici.