Blockchain et Assurance entre ambition et réalité : les erreurs à ne pas commettre
Les compagnies d’assurance sont mobilisées par la nécessité de trouver des moyens de différenciation pour fidéliser leurs clients, renforcer les processus de prospection et conquérir de nouveaux marchés. Devant l’ampleur des défis à relever, la technologie représente un levier fondamental pour appuyer la construction d’une nouvelle approche assurantielle, notamment face à l’évolution de la matière assurable et l’apparition de nouveaux risques. Cet article est publié suite à l’événement organisé par Wavestone le 10 Octobre 2017 sur la thématique : Blockchain et assurance entre ambition et réalité : les erreurs à ne pas commettre. Un atelier interactif qui a regroupé différents acteurs du marché de l’assurance et des experts Wavestone combinant les expertises technologique et métier.
Depuis 2008, la Blockchain intrigue les différents acteurs du marché financier. De nombreuses étapes ont été franchies, concourant à asseoir la technologie Blockchain comme un élément clef de la 2ème révolution numérique après Internet. Nous avons noté une évolution rapide de la technologie depuis l’apparition du Bitcoin en 2009 suivi par Ethereum en 2015, introduisant les « Smart Contrats », pour arriver en août 2017 à un marché total de cryptomonnaies s’élevant à 180 milliards de dollars. Les assureurs, quant à eux, manifestent de plus en plus leur intérêt pour expérimenter les cas d’usage de la Blockchain en assurance.
La Blockchain, une technologie de grande envergure
La Blockchain est un registre immuable d’information, partagé de pair à pair entre les membres du réseau où le consensus remplace le recours à une autorité centrale. Elle permet de stocker et d’échanger des données de manière sécurisée et décentralisée. En effet, contrairement au réseau Internet qui fonctionne à travers des nœuds possédés par des multinationales, les utilisateurs du réseau deviennent eux-mêmes des nœuds du réseau et partagent tous les mêmes règles de gestion et donc parviennent au même résultat. Ainsi, la technologie assure la traçabilité et l’historisation de toutes les transactions qui y sont enregistrées depuis sa création. La Blockchain constitue donc un registre distribué, fiabilisé et incorruptible.
Les bons réflexes pour expérimenter la technologie
Dans le but de guider l’idéation, les experts de Wavestone ont mis en perspective deux points fondamentaux pour présenter à nos clients les bons réflexes dans leurs démarches d’expérimentation de la technologie :
Les caractéristiques de la Blockchain sont-elles bloquantes ?
La grande particularité de la Blockchain est son architecture décentralisée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas hébergée par un serveur unique mais par une partie des utilisateurs. Les informations contenues dans les blocs (transactions, titres de propriétés, contrats…) sont protégées par des procédés cryptographiques qui empêchent les utilisateurs d’effacer les informations stockées sur les réseaux ou de les modifier. Le caractère incorruptible de la Blockchain implique donc l’unicité des règles d’échange entre les participants. Ainsi, les consensus de distribution, l’unicité et l’incorruptibilité, caractères intrinsèques de la Blockchain peuvent empêcher son application dans certains cas d’usage.
La Blockchain est-elle la meilleure solution disponible à date ?
La Blockchain est une technologie prometteuse mais difficile à appréhender pour les acteurs. L’enthousiasme suscité par la Blockchain doit être modéré par quatre facteurs d’incertitudes qui peuvent rendre son implémentation complexe :
– La technologie et les algorithmes sous-jacents évoluent vite et ne sont pas encore matures.
– La résilience de la technologie est conditionnée par la volumétrie des participants sur le réseau. Cependant, plus le nombre de participants augmente, plus les processus de minage deviennent complexes, rendant les transactions plus coûteuses.
– Etant donné que le principe de la technologie est de faire confiance à un système algorithmique conçu par des développeurs, les consensus imposent donc un potentiel de transfert de la légitimité et de la confiance envers des tiers.
– L’horizon de rentabilité des investissements pourrait être plus lointain qu’anticipé. Une motivation économique est nécessaire pour mobiliser les acteurs à expérimenter les usages de la Blockchain.
Face à l’impact potentiel de la Blockchain et malgré les incertitudes, il est essentiel que les décideurs s’acculturent, via l’expérimentation, pour en détecter les opportunités.
Trois catégories de cas d’usage
– Record Keeping : un simple registre de stockage pour déposer des documents : brevets, diplômes, fiches de paie, etc. Ce registre permet ainsi d’assurer l’intégrité de ces documents qui peuvent servir de preuve en cas de besoin.
– Digital transactions : les cas d’usage ont évolué avec le transfert de valeur via des cryptomonnaies. La Blockchain permet de garantir la traçabilité de toutes les transactions depuis sa création.
– Smart Contrats : ce sont des protocoles implémentés de transactions qui exécutent automatiquement les termes du contrat suite à la présence des éléments déclencheurs. La donnée nécessaire à l’exécution d’un contrat peut se trouver en dehors de la Blockchain. Dans ce cas, une nouvelle forme de tiers de confiance appelé « Oracle » intervient pour fournir les informations nécessaires au déclanchement des Smart Contracts.
Focus sur quelques cas d’usage en assurance
Assurance Retard de Vols
La Blockchain présente un capital technologique pour les applications de l’assurance paramétrique, c’est-à-dire l’assurance liée à un indice objectif. En se basant sur des smart contrats, l’assurance indicielle est automatisée. Axa a récemment lancé Fizzy, un produit d’assurance qui, au travers des smart contrats, indemnise automatiquement le client en cas de retard de vol. Cette application part du constat que 60 % des passagers assurés contre le retard de leur vol ne profitent pas de leur assurance. Ici, lors de l’achat de son billet d’avion, le voyageur souscrivant à un contrat Fizzy est informé du montant de sa prime ainsi que de son indemnisation en cas de retard. Sa souscription est enregistrée, sans intervention humaine, dans le registre Blockchain. A fréquence régulière, l’oracle alimente la Blockchain par les données des arrivées de vols. Dans le cas d’un retard de plus de 2 heures, le Smart Contract déclenche automatiquement un ordre de virement vers le compte du client.
Dans le cas de Fizzy, la Blockchain répond bien mais n’est pas indispensable au seul besoin d’automatisation de l’indemnisation. Un système plus classique, directement connecté à l’Oracle, assurerait tout aussi bien la même fonction.
Assurance KYC
La Blockchain KYC vise à partager l’ensemble des informations clients entre les distributeurs, assureurs et réassureurs. L’objectif est ici de faciliter le partage d’informations client entre les différents acteurs d’un écosystème données (Transactions entre Assurés, Assureurs, Courtiers, B2B, Réassureurs…) afin de fluidifier les contacts avec les clients et d’assurer l’alignement des connaissances client.Ce cas d’usage est un prototype opérationnel reposant sur le réseau distribué de la Blockchain pour regrouper, dans le même registre, une institution assurantielle avec ses clients. L’objectif est de renforcer le capital confiance entre ces deux parties et de fournir une vue complète de l’identité du client conformément aux besoins KYC. IBM et le Crédit Mutuel Arkéa se sont lancées dans l’utilisation de la Blockchain pour le KYC. Ils ont développé un cas d’application reposant sur la Blockchain pour renforcer les processus KYC et lutter contre la fraude. La traçabilité et la confidentialité des informations sont renforcées avec le système distribué de la Blockchain.
Avec la nouvelle réglementation européenne sur les données à caractère personnel (GDPR), cette application de la Blockchain doit faire face à de nouveaux enjeux. Il faudra en particulier rendre possible l’effacement des données, intrinsèquement impossible dans les solutions Blockchain existantes, pour pouvoir appliquer le droit à l’oubli.
Assurance vie
Certains acteurs se sont lancés dans l’expérimentation de la Blockchain pour l’assurance vie afin de répondre aux exigences de la loi Ekert qui imposent aux assureurs de distribuer les sommes conservées des contrats d’assurance vie en déshérence aux ayants droit. Grâce au système d’oracle, les décès des assurés sont vérifiés à fréquence régulière auprès du RNIPP. Lorsque le décès de l’assuré est constaté, une indemnisation automatique pour le(s) bénéficiaire(s) du contrat est déclenchée. Les bénéficiaires pouvant être modifiés plusieurs fois durant la vie du contrat, leur gestion dans la Blockchain, où les données ne peuvent être modifiées, peut s’avérer complexe. Par ailleurs, au-delà des limites de la technologie, l’automatisation de ces actions, suppose que l’assureur possède le RIB de chaque bénéficiaire pour pouvoir effectuer les virements.
Assurance collaborative
Le développement de la Blockchain en DAO a présenté une forme plus complexe des applications décentralisées pour déployer à grande échelle les assurances Peer-to-Peer. Les DAO dont les programmes fonctionnant sur la Blockchain, qui rendent transparents et publiques les principes de gouvernance qui régissent une organisation. Principalement fondées sur des fonctionnalités plus complexes s’organisant autour d’une communauté, les DAO offrent de nouveaux horizons pour basculer vers une nouvelle ère collaborative en assurance. En effet, les concepts de DAO découlent des consensus de l’intelligence artificielle et visent à construire des agents autonomes pour définir des flux opérationnels conçus pour un Business Model assurantiel sans intervention humaine. Friendsurance s’est positionnée sur ce nouveau marché d’assurance collaborative. Son Business Model repose sur la transformation de groupes d’assurés en communauté. En effet, la start-up se base sur le potentiel des DAO à introduire des protocoles d’approbation collectifs et redistribuer les fonds communs en excédent d’une manière transparente. En cas de prestations lourdes, l’assureur paie. En revanche, pour les petites prestations, le sinistre est couvert par le versement des primes.
Ainsi, cette DAO est l’équivalent d’une mutuelle qui se couvre en réassurance sur les sinistres importants. Ce modèle d’assurance collaborative, encore embryonnaire, présente un fort potentiel au vu des évolutions sociétales.
L’émergence de nouvelles alliances face à la complexité de la technologie
Le marché de l’assurance est en forte mutation pour appréhender cette nouvelle technologie émergente. En effet, de nouvelles alliances et regroupements entre les acteurs du marché apparaissent pour déterminer les cas d’usage de la Blockchain.
D’une part, ces alliances se manifestent au travers de partenariats entre des compagnies d’assurance et des startup technologiques : AXA Strategic Ventures a ainsi participé à une levée de fonds de 55 millions de dollars dans la start-up Blockstream qui a développé Sidechains, un protocole Blockchain capable de mettre en place des réseaux publics et privés pouvant interagir les uns avec les autres, et ainsi de générer des transactions agiles et sécurisées. Otherwise a intégré la FinTech Accelerator de L’Atelier BNP Paribas Cardif pour développer un cas d’usage de l’assurance collaborative. Allianz Risk Transfer a collaboré avec Nephila pour automatiser la couverture des risques. Cela fait disparaître la lourdeur administrative de déclaration puis d’indemnisation, source de frustration pour les clients.
D’autre part, l’effervescence autour de la Blockchain ne cesse pas d’augmenter dans le secteur de l’assurance jusqu’au la génération de regroupements entre assureurs eux-mêmes : La preuve de cet intérêt croissant est la collaboration mondiale « B3i » qui implique 15 grands assureurs et réassureurs internationaux ou encore le laboratoire d’innovation Labchain lancé par la Caisse des Dépôts : Un laboratoire dédié aux registres distribués afin de mutualiser les démarches d’exploration et d’anticiper collectivement les opportunités et les impacts de la rupture technologique. Ce consortium réunit 25 partenaires banquiers, assureurs et mutualistes.
Un fort potentiel mais une maturité à construire
Les cas d’application de la Blockchain en assurance sont en cours de développement et certains usages ne sont pas encore à maturité. De ce fait, le passage à grande échelle des applications de la Blockchain en assurance n’est pas encore abouti. Face à la complexité technologique, il est essentiel que les décideurs s’acculturent sur cette nouvelle technologie émergente, en étudient les implications possibles sur leurs activités, et valorisent les alliances et les collaborations. Les expérimentations de la Blockchain à travers des POCs permettent aux acteurs de monter compétence sur le sujet tant d’un point de vue IT que métier et d’en tirer une source d’inspiration dans l’évolution majeure que connait le secteur de l’assurance, notamment pour aller conquérir des nouveaux marchés comme l’assurance Peer-to-Peer. Si le potentiel de la technologie est grand, plusieurs risques sont à anticiper, avec entre autres, la concurrence des Insurtechs, un cadre juridique à adapter et une faible maturité pour directement envisager le déploiement à grande échelle.