Dossier : la digitalisation, une nécessité stratégique pour les assureurs (1/2)
Le secteur de l’assurance commence à ressentir la nécessité d’une digitalisation, avec un certain retard par rapport à d’autres industries. Le numérique modifie non seulement la façon dont les produits d’assurance et les services associés sont distribués mais aussi la nature de ces produits, services et même modèles économiques. Pour les assureurs, il existe de nombreuses opportunités de faire évoluer leurs activités dans ce nouveau monde. Néanmoins, ces opportunités et les bénéfices associés ne seront pas partagés de façon égale. La capacité à se transformer de manière rapide et agile sera le facteur clé de succès pour générer de la croissance à l’ère du digital. A l’inverse, prendre du retard par rapport à ces changements c’est prendre le risque de perdre en compétitivité et en rentabilité.
1ère partie : La digitalisation menace le modèle traditionnel des assureurs
Le digital est un phénomène qui ralentit la croissance. Un tel propos peut sembler contre-intuitif étant donné le fait que le digital peut améliorer l’efficience des processus métiers, et que les entreprises, toutes industries confondues, sont invitées à adopter les différentes possibilités offertes par le numérique. Or, le sondage McKinsey Global Survey sur un large éventail d’industries le prouve. L’arrivée du digital sur un secteur réduit la croissance des revenus -avec un taux moyen de 3,5% par an- et la croissance du bénéfice avant intérêts et impôts (EBIT) – avec un taux moyen de 1% par an. Pour certaines industries, le chiffre peut s’élever jusqu’à 12% pour les revenus et à 10% pour l’EBIT. Ces recherches montrent que, même si les nouveautés digitales propulsent certaines entreprises dans leurs marchés, pour beaucoup d’autres, l’impact se traduit par une réduction des bénéfices de l’entreprise et de la valeur globale d’une industrie. Au final, ce sont les consommateurs, et non les entreprises, qui sont les plus gagnants.
Une dynamique qui va modifier les règles du jeu et la répartition des parts de marché…
A l’arrivée d’une disruption digitale, la valeur économique des marchés diminue d’autant plus que le partage des parts du marché ne se fait pas de manière uniforme par rapport à l’ancienne répartition. Par conséquent, tous les acteurs ne pourront pas suivre la pression sur les performances financières. Pour une bonne partie d’entre eux, les menaces du digital vont l’emporter sur les opportunités. Seuls les premiers à avoir fait le choix d’une transformation radicale et fait le pari d’innover sur toute la chaîne de valeur – voire la remodeler – s’en sortiront avec le plus de gains.
À court terme, les mesures de modernisation des systèmes d’information permettraient une amélioration considérable des bénéfices. À moyen-long terme, cependant, les bénéfices tirés des modèles assurantiels classiques seront freinés par des changements des facteurs de risques. Dans le domaine de l’assurance automobile par exemple, la conduite devient plus sécurisée en raison de l’utilisation de capteurs de proximité ou des voitures autonomes. Cela réduit les risques d’accidents et, dans certains cas, transfère la responsabilité directement aux fabricants.
Cette dynamique est bien susceptible de se produire dans l’ensemble du secteur de l’assurance. Par contre, elle pourra prendre plus ou moins de temps en fonction des lignes métiers. Les assurances de biens sont visiblement les premières à ressentir les effets du digital, alors que cela pourra prendre plus de temps pour perturber des lignes métiers plus complexes, telles que l’assurance vie.
…Poussant vers plus de prévention et de « profiling »
Les assureurs sont menacés par deux principales tendances : une tendance à prévenir les risques au lieu de les assurer, et le pouvoir croissant des entreprises qui détiennent et analysent les données.
Les nouvelles technologies favorisent la prévention des risques
Les technologies liées aux objets connectés, Big Data et intelligence artificielle donnent lieu à des quantités croissantes de données. En plus de permettre une tarification plus précise des risques, elles contribuent à les atténuer, et donc à réduire les primes d’assurance. Toujours en assurance automobile, l’évitement de la collision vers l’avant, la conduite assistée et le contrôle de vitesse adaptatif sont déjà installés dans de nombreuses voitures neuves. Ceci rend les véhicules plus sûrs, réduisant ainsi le nombre d’accidents et donc la valeur des produits d’assurance automobile. Les voitures autonomes pourraient aussi devenir omniprésentes au cours des deux prochaines décennies. De ce fait, la responsabilité est susceptible de passer des conducteurs individuels aux fabricants. Le même changement vers la prévention des risques est apparu sur d’autres produits. En MRH par exemple, les maisons connectées permettent une maintenance prédictive et des alertes en temps réel, évitant dégâts des eaux ou incendies.
Au final, la richesse en données a deux effets principaux : une meilleure évaluation des risques et une prévention de leur occurrence. Ce qui conduit à un changement de modèle. Les consommateurs ne paient plus pour être indemnisés pour les dommages qu’ils peuvent encourir, mais plutôt pour des gadgets leur permettant de prévenir ces risques. Ainsi, la création de valeur via la souscription classique de produits d’assurance va atteindre sa limite.
La maîtrise des données est un enjeu concurrentiel clé
La collecte et valorisation des données peut constituer un avantage concurrentiel. L’analyse de données permet non seulement d’optimiser l’efficacité opérationnelle , mais aussi de mettre en place de nouveaux modèles économiques. Les assureurs disposent d’une mine de données historiques sur les assurés et leur sinistralité. Pourtant, seront-ils en mesure de rivaliser avec des nouveaux entrants ayant des données comportementales plus poussées ? De même, qu’en est-il du risque avec la capacité d’analyse de données des nouveaux entrants – en l’occurrence les GAFA ? Celle-ci leur permet non seulement d’analyser les comportements, mais aussi de cibler une clientèle à faible risque. Si cette tendance au ciblage des clients à faible risque s’avérait durable, le modèle de mutualisation des risques ne serait plus viable.
Les nouveaux entrants ayant une mine de données à forte valeur ajoutée ne se limitent pas seulement aux GAFA. Les fabricants d’automobiles vont sans doute avoir leur mot à dire sur le marché d’assurance automobile. L’installation de périphériques connectés dans les voitures est un sujet d’actualité. Ces périphériques donneront aux fabricants un accès unique aux données, et donc une capacité à déterminer avec précision le risque de leurs clients, ainsi qu’un accès direct aux conducteurs ayant besoin d’un produit d’assurance. Les assureurs devront donc à leur tour se repositionner dans cet écosystème évolutif.
Le digital a le pouvoir de briser les modèles classiques et de redistribuer les cartes de manière inégalée entre les acteurs. Une question se pose concernant les assureurs historiques. Seront-ils suffisamment agiles et rapides pour profiter des opportunités offertes par le digital au lieu de subir ces évolutions? Il est nécessaire pour les assureurs d’accélérer leur adaptation à l’ère du numérique. Aucun des acteurs du marché ne peut se permettre d’attendre qu’une évolution technologique érode les avantages concurrentiels dont il bénéficie aujourd’hui. S’il faut tirer une leçon de la digitalisation dans les autres secteurs où elle est plus avancée, c’est qu’il faut agir maintenant et à grande échelle. Une transformation de l’ensemble de l’entreprise est à entamer bien au-delà de la modernisation des systèmes d’information.