Droit à l’oubli: les assureurs sur la ligne de départ
Deux décrets d’application du 7 et 13 février 2017 publiés au journal officiel ont marqué le coup d’envoi du déploiement du nouveau dispositif du droit à l’oubli. Ce droit concerne les personnes souhaitant bénéficier d’une assurance emprunteur tout en faisant l’objet d’un risque aggravé de santé dû à leur passé médical. Ce dispositif permettra à ces personnes d’éviter les surprimes, ou clauses d’exclusions. Même s’il avait déjà été initié en 2015, il convient aujourd’hui de revenir sur son contenu afin d’en rappeler les contours, identifier ses conséquences chez les assureurs et d’exposer le contenu des nouveautés apportées par ces 2 décrets.
Acheter une maison, une nouvelle voiture ou même créer sa propre entreprise implique souvent de demander un crédit auprès d’une banque. Dès lors, une assurance est bien souvent nécessaire voire obligatoire pour se protéger soi-même et sa famille contre les aléas de la vie (incapacité, perte d’emploi, décès prématuré, etc). En revanche le montant de la prime à payer sera en partie fonction de l’état de santé de la personne assurée, ce qui pose un réel problème pour les personnes présentant un risque aggravé de santé dû à un cancer, même guéri. Les assureurs peuvent aussi imposer à l’assuré une clause prévoyant la non couverture s’ils étaient amenés à subir une rechute de leur maladie.
Les dernières études de grande échelle sur le cancer ont démontré que l’on en guérit mieux aujourd’hui qu’il y a 20 ans, notamment grâce aux progrès des thérapeutiques. L’une d’elles notamment, menée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national du cancer (INCa) entre 1989 et 2010 sur plus de 535 000 cas, a montré une réelle amélioration du taux de mortalité sur certains cancers comme le cancer du sein, de la prostate ou du côlon-rectum. À titre d’exemple entre 1989 et 1993, lorsqu’on diagnostiquait un cancer de la prostate à un homme, il avait 72% de chance d’être encore en vie 5 ans plus tard contre 94% dans le cas des diagnostics posés entre 2005 et 2010.
Pourquoi alors ne pas prendre en compte ces nouvelles données, démontrant une diminution de la surmortalité, pour leur faciliter l’accès à l’assurance ?
L’avènement progressif du droit à l’oubli
Le droit à l’oubli trouve son origine dans la convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) signée par l’État, les instances représentatives du secteur de la banque et de l’assurance, les instituts de prévoyance et les mutuelles ainsi que par des associations malades et de consommateurs. Cette convention, entrée en vigueur le 7 janvier 2007, a pour but de faciliter l’accès à un emprunt et à l’assurance associée pour les personnes ayant un risque ou ayant subi par le passé un risque aggravé de santé.
Elle fait suite à une série de conventions dont la première a été signée en 1991 entre les pouvoirs publics et les professionnels de l’assurance qui permettait notamment aux personnes séropositives de bénéficier d’assurance décès pour les prêts immobiliers. Ce mécanisme était encore imparfait et a été amélioré au fil du temps, notamment en 2001 par la convention Belorgey qui a permis d’améliorer le dispositif initial en référençant d’autres pathologies, en mettant en place un code de bonne conduite ainsi que trois niveaux d’examen des demandes d’assurance.
Que contient le droit à l’oubli ?
C’est par un avenant à la convention AERAS que le droit à l’oubli a été adopté en 2015. Il regroupe deux dispositions principales : la première permet au malade du cancer ayant guéri de ne pas déclarer sa maladie lorsqu’il souhaite souscrire une assurance emprunteur. De fait, si un malade du cancer a été diagnostiqué avant sa majorité, que le protocole thérapeutique est terminé depuis 5 ans (chirurgie, radiothérapie ou chimiothérapie) et qu’aucune rechute n’a été constatée, alors cette personne est dans le droit de ne pas communiquer cet état de fait. Ce délai est porté à 10 ans si la personne a été diagnostiquée après sa majorité. Cela s’applique même si des traitements de type hormonothérapie ou immunothérapie sont encore nécessaires.
La deuxième évolution majeure a été l’instauration d’une liste de pathologies permettant à certaines personnes non éligibles au droit à l’oubli (souvent pour ces conditions de délais mais dont l’état de santé est néanmoins stabilisé), de bénéficier au moins de conditions tarifaires « normales» c’est-à-dire de se voir proposer une assurance emprunteur sans surprime ni exclusion de garanties. Un délai spécifique à chacune ces pathologies a été fixé en février 2016 (six pathologies recensées à ce jour) et les personnes concernées sont toutefois obligées de déclarer leurs antécédents médicaux à l’assureur.
Ces dispositions sont toutefois conditionnées par un niveau d’âge (70 ans) et un niveau de montant emprunté (320.000€) maximum.
Les données de santé et les études médicales permettront également de faire évoluer cette liste de pathologies. En tout état de cause il y a un lien direct entre l’évolution des courbes de survie à une pathologie et le droit à l’oubli. Plus une maladie est difficile à traiter et donc mortelle, moins le droit à l’oubli sera probable. En sens inverse, si des progrès thérapeutiques permettent de guérir définitivement de plus en plus de malades, plus le droit à l’oubli sera légitime.
Un droit à l’oubli rétroactif ?
En revanche se pose toujours la question des anciens assurés ayant souscris à un contrat d’assurance avant l’arrivée du droit à l’oubli : pourront-ils bénéficier de ce dispositif de manière rétroactive ou bien auront-ils toujours à payer leurs surprimes ou rester soumis aux clauses d’exclusion de garantie ?
À ce stade la réponse semble être négative car les assurés ont souscrit à ces contrats d’assurance par le passé alors que les données médicales n’étaient pas les mêmes. Or ce sont les données médicales d’aujourd’hui qui ont permis l’avènement de ce droit à l’oubli. En revanche rien n’empêchera les assurés de renégocier leur contrat d’assurance adossé à leur prêt. À cet effet une réforme récente permettra à ces assurés d’en bénéficier.
En effet, le Sénat et l’Assemblée Nationale ont validé, le 8 février 2017, une disposition issue de la loi Sapin II instaurant le principe de résiliation annuelle de l’assurance emprunteur. Il sera applicable à tous les contrats d’assurance en cours d’exécution à partir du 1er janvier 2018 soit dans moins d’un an. Toute personne pourra donc renégocier son contrat d’assurance en tenant compte, bien sûr, des nouvelles dispositions relatives au droit à l’oubli.
Une obligation d’information à la charge de l’assureur
Tout d’abord, le décret d’application du 13 février 2017 précise les modalités d’information des candidats à l’assurance emprunteur lorsqu’ils présentent, du fait de leur état de santé ou de leur handicap, un risque aggravé. Cela passera désormais par un document d’information précisant tous les points ayant fait l’objet de l’amendement de 2015 sur le droit à l’oubli, notamment le droit de l’assuré ne pas déclarer son ancien cancer s’il remplit les conditions.
Si l’on se place stricto sensu sur le plan de l’arrivée de ce décret, l’impact est limité pour les assureurs et consiste en la révision des questionnaires de santé et un complément de formation auprès des commerciaux et surtout du service médical dédié au traitement du questionnaire. En revanche, il peut y avoir un impact en termes de volume de dossiers d’adhésions à traiter car, au-delà du fait que des personnes déjà assurées auront le droit de changer de contrat d’assurance emprunteur (grâce à la loi Sapin II), le nombre de candidats potentiels à l’emprunt va augmenter.
Les questionnaires de santé devront évoluer même si les modifications à apporter ne sont pas non plus majeures. Typiquement les questions du type « avez-vous déjà été malade d’un cancer ?» devront être modifiées pour y faire apparaître les délais prévus par le droit à l’oubli : « avez-vous déjà été malade d’un cancer ces 10 dernières années ? ».
Une protection du droit à l’oubli par l’ACPR
Le décret du 7 février 2017, quant à lui, est relatif aux sanctions applicables aux organismes assureurs pour non-respect des dispositions de la convention. Ce décret place les assureurs sous le pouvoir disciplinaire de l’ACPR concernant l’application du droit à l’oubli. Les assureurs sont désormais susceptibles de sanctions de la part de l’autorité de contrôle s’ils ne se conformaient pas à leurs nouvelles obligations : les assureurs devront donc systématiquement vérifier qu’ils n’ont pas en leur possession des informations médicales qu’ils n’avaient pas le droit de recueillir. D’autre part, ils devront également être vigilants à ne pas appliquer de surprimes ou de clauses d’exclusion à des assurés souffrant de pathologies figurant dans la grille de référence, soit autant de nouveaux points de contrôle de premier niveau à mettre en place.
Pour conclure on peut vraiment dire que ce droit à l’oubli est véritablement une avancée significative pour les malades d’autant plus que la France est la première nation au monde à se doter d’un tel dispositif. Après deux années de préparation, le coup d’envoi est véritablement donné même si de nombreux acteurs avaient déjà pu anticiper les modalités d’application.
La liste des pathologies permettant d’échapper aux surprimes ou aux clauses d’exclusion est toutefois encore réduite. Cependant on commence déjà à parler d’y intégrer le VIH étant donné le fait que les progrès réalisés permettent aujourd’hui aux séropositifs de mener une vie à peu près normale.
Si cette information venait à être confirmée ce serait alors la première pathologie, contre laquelle il n’existe à ce jour aucun traitement assurant la guérison, à être inscrite sur cette liste. Une bonne nouvelle pour tous les malades ayant encore de la peine à s’assurer.