Mif2 : quel impact de la législation européenne sur les acteurs de l’assurance ?
Après plus de 2 ans d’intenses discussions, l’Esma (autorité européenne des marchés financiers), a publié fin septembre 2015 de nouvelles règles de mise en œuvre de la réforme de la Directive des marchés financiers (Mif2). Ayant vocation à corriger les écueils de la première directive (Mif1), suite à la crise financière et économique de 2008, elle impose de nouvelles obligations en matière de régulation des marchés financiers et de protection des investisseurs. Quels sont les impacts de cette nouvelle réglementation européenne à prévoir chez les acteurs financiers, et en particulier dans le secteur de l’assurance ? Retour sur les discussions du séminaire organisé par Revue Banque en partenariat avec Solucom le 29 septembre dernier.
Mif2, la pièce d’un puzzle plus global de régulation européenne
Le traumatisme de la crise financière de 2008 a donné lieu à une réelle volonté des institutions européennes de réguler davantage les marchés financiers et de protéger les investisseurs et clients de détail. Faute d’aboutir à un accord à la fois transverse et accepté de tous, un véritable « pack réglementaire » a vu le jour en ce sens, visant principalement les acteurs du monde de la finance et des secteurs banque et assurance. Les assureurs ne sont en effet pas en reste : outre la mise en place, prévue en 2017, de quelques dispositions de Mif2 qui les concernent, ils sont directement concernés par la Directive sur la Distribution en Assurance (IDD) et le règlement sur les produits d’investissement de détail packagés (PRIIPs). Comment se retrouver dans ce méli-mélo juridique ? Petit lexique de mise à niveau :
- La Directive européenne sur la Distribution en assurance (IDD) a pour objectif de mettre en place un véritable marché européen de la distribution en assurance . Adopté en 2014, le texte élargit le spectre de son prédécesseur, la Directive sur l’intermédiation en assurance (IMD) de 2002. Comme pour Mif2, il s’inscrit dans une démarche globale en faveur d’une protection accrue des clients en termes de transparence, gouvernance des produits et encadrement de la vente dans le secteur de l’assurance. De manière générale, il prévoit d’harmoniser les pratiques et impose de nouvelles obligations en termes d’information précontractuelle, de professionnalisme et de compétence des acteurs.
- La réforme de la Directive sur les Marchés Financiers (MIF2) a été votée en 2014 avec trois grands objectifs : efficacité, résilience et transparence des marchés. Ceux-ci se déclinent en diverses règles d’organisation et de fonctionnement pour les acteurs financiers. La Directive prévoit en particulier une transparence accrue sur les plateformes de négociation et la vente de produits d’investissement, ainsi qu’un encadrement plus fort du trading, notamment algorithmique. La Directive IDD s’inspire grandement de ce texte pour appliquer ses grands principes au secteur de l’assurance, notamment en termes d’information précontractuelle, de gouvernance produit ou encore de devoir de conseil.
- Le règlement PRIIPs (règlement transsectoriel sur les produits d’investissement), adopté au Parlement européen en 2014, se concentre sur les produits d’investissement et d’épargne, les produits de retraite étant exclus du périmètre. Il prévoit par exemple la mise en place d’un document d’informations clés à remettre au client avant toute signature d’un contrat, toujours dans un objectif de transparence et de protection des investisseurs, pour s’assurer de leur connaissance des risques, notamment dans le cadre de contrats d’assurance-vie.
A l’occasion du séminaire organisé par la Revue Banque nous avons rencontré Olivier Fliche, Directeur du contrôle des pratiques commerciales de l’ACPR : « Mif2 doit se lire en complément des autres textes, puisque chacun vise un certain type de produits ». Les acteurs concernés par la directive devront donc entamer leur démarche de mise en conformité au regard de l’ensemble du pack réglementaire. C’est dans ce contexte que réside toute la complexité de la mise en œuvre, précise Olivier Fliche : « Les textes ont été rédigés selon les mêmes principes, mais la réussite de leur transposition au niveau national dépendra des actes de niveaux 2 (règles d’exécution) qui sont en cours de rédaction, et de la capacité des acteurs à prendre en compte les spécificités des produits ».
Protection des épargnants et qualité de service
Alors quels sont les apports de Mif2 ? Une grande partie du texte est centrée autour de la transparence et la régulation des marchés financiers. Afin de rendre ces derniers plus robustes face aux fluctuations, Mif2 prévoit notamment une transparence renforcée sur le prix des titres sur les marchés « non-actions », l’enregistrement pendant 5 ans des ordres passés ou encore l’encadrement du trading à haute fréquence.. Le texte consacre également les notions de « qualité de service » et de « devoir de conseil », en contraignant les conseillers à agir « dans le meilleur intérêt des clients » : « demain il faudra pouvoir expliquer non seulement pourquoi un client a pris une décision, mais aussi pourquoi il ne l’a pas prise » explique Philippe Vayssettes, président du directoire de Neuflize OBC.
Une autre disposition majeure concerne le conseil indépendant : les distributeurs ne pourront se présenter comme indépendants que s’ils renoncent aux rétrocessions de commissions, et ce afin d’éviter les conflits d’intérêt et les pratiques de vente biaisées. Les mêmes principes sont consacrés par IDD pour les produits d’assurance. Néanmoins, certains acteurs sont concernés par l’ensemble des textes ; c’est le cas des Conseillers de Gestion de Patrimoine Indépendants (CGPI) ou des bancassureurs. Face au tollé provoqué en début d’année par l’initiative d’interdiction des rétrocessions de commissions pour les CGPI, les États membres sont arrivés à un accord en maintenant les commissions pour les produits d’assurance-vie. En revanche, le texte vise l’assurance sur le domaine de la déontologie : « les consommateurs devront savoir si le vendeur d’un produit d’assurance a un intérêt économique à vendre un produit particulier. ».
De forts impacts en termes de gouvernance des produits découleront de ces principes : les services seront notamment catégorisés via des tests rattachés aux produits, visant à vérifier la concordance de leur connaissance des investisseurs avec les risques inhérents au produit vendu.
L’implémentation en Europe, un casse-tête chinois
Si les objectifs et principes véhiculés par Mif2 font consensus, c’est l’implémentation concrète chez les acteurs concernés qui fait polémique. Le texte impose en effet de nombreuses contraintes pas toujours évidentes à mettre en œuvre : des contraintes de délais tout d’abord, l’échéance étant fixée au 3 janvier 2017, alors que viennent seulement d’être publiées les premières règles de mise en œuvre. Plus largement, il est reproché à l’Esma de ne pas prendre en compte la réalité du métier quotidien des conseillers, et d’alourdir les procédures, avec un risque final de freiner l’investissement. Par exemple, le texte impose un niveau de granularité d’informations conséquent auprès du consommateur, une exigence qui devrait largement impacter le processus de vente et de communication, sans pour autant faciliter la compréhension par l’investisseur des risques encourus sur l’achat d’un produit.
Enfin, il sera nécessaire de clarifier la gouvernance du contrôle de l’application des textes. Le texte donne un pouvoir accru aux autorités. Mais entre institutions nationales (Autorité des Marchés Financiers, Autorité de contrôle Prudentiel et de Résolution) et européennes (l’Esma , l’EBA, l’EIOPA), qui contrôlera quoi ? «De manière schématique, l’AMF contrôlera la mise en application de Mif2 sur les marchés, et l’ACPR l’application d’IDD par les assureurs ; le banquier distribuant de l’assurance sera également contrôlé par l’ACPR. Pour l’instant, les compétences restent nationales. Mais les autorités européennes (ESMA, EBA, EIOPA) auront le pouvoir d’interdire certains produits s’ils représentent un danger pour le consommateur européen », nous indique Olivier Fliche. Au-delà de la mise en application, il conviendra donc pour les acteurs financiers de connaitre les différentes autorités de régulation et leurs rôles respectifs dans ce puzzle européen.
Ainsi, Mif2 doit se lire au regard d’un projet plus global de transformation des marchés financiers européens. Cette initiative ambitieuse promet une meilleure protection des épargnants et une plus grande solidité des marchés face aux risques financiers. Elle se heurte néanmoins à des difficultés de déclinaison opérationnelle chez les acteurs, accentuée par la complexité des règles de mise en œuvre et la diversité des textes en vigueur. Mais qu’il s’agisse du banquier ou de l’assureur, faut-il nécessairement voir ces changements sous l’angle de la difficulté ? Ne peuvent-ils pas constituer l’opportunité pour les grands comptes de revoir leur relation à l’investisseur, et plus largement leur approche de la relation-client ? C’est le positionnement de Nicolas Hénault, Responsable filière RCSI chez BPCE, à découvrir le 18 novembre !