Droit à l’oubli : un révélateur de l’évolution de la relation assureur / assurés ?
La réglementation fait un pas de plus en faveur du droit des assurés, et notamment dans le domaine du droit à l’oubli. Dans le cadre du 3ème « plan cancer », les professions financières et les pouvoirs publics ont signé, le 24 mars dernier, un Protocole d’accord permettant aux personnes guéries depuis plus de 15 ans d’une pathologie cancéreuse, ou depuis plus de 5 ans si elle était survenue avant leur 15ème anniversaire, de ne pas la déclarer à leur futur assureur. Par ailleurs, les personnes guéries depuis moins de 15 ans de certains cancers (listés dans une grille de référence) pourront être assurées au tarif normal. Ce protocole et des amendements ont été intégrés au texte de loi, et la « convention AERAS » (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) avenantée. Mais ces dispositions, permises grâce au travail des associations de patients peuvent-elles être considérées comme suffisantes au yeux des patients ?
Comprendre les enjeux : l’exemple de l’assurance emprunteur
L’assurance emprunteur illustre bien les incompréhensions liés au principe de calcul des risques. Un crédit immobilier est assorti d’une assurance obligatoire couvrant le décès/invalidité ou l’incapacité de travail, et d’une assurance facultative couvrant la perte d’emploi : en cas d’incapacité de travail ou de perte d’emploi, c’est l’assureur du crédit qui prend le relais d’en payer les échéances ; en cas de décès ou d’invalidité, le capital restant dû sur le crédit immobilier est réglé par l’assureur.
L’assureur d’un crédit immobilier dépassant un certain montant emprunté, aidé le cas échéant du réassureur qui en partage le risque et les primes selon les traités les liant, analyse par conséquent ce qui, dans la vie du proposant (le contractant du crédit à assurer), peut aggraver sa probabilité de réalisation des risques couverts : son âge, son mode de vie, les sports et activités qu’il pratique, sa profession, ses déplacements à l’étranger, et son état de santé par le passé et au moment de la demande d’assurance. Si le proposant présente un risque aggravé, c’est-à-dire une probabilité de réalisation du risque supérieure à la moyenne des autres personnes du groupe assuré, l’assureur peut alors :
- Majorer la prime, en ajoutant une surprime à la prime de base ;
- Refuser d’assurer le proposant, sur tout ou partie des garanties, définitivement ou temporairement ;
- Exclure de tout ou partie des garanties un ou plusieurs risques ; s’il(s) se produi(sen)t, l’assuré n’est alors pas indemnisé.
Pourquoi était-il temps de faire évoluer le droit à l’oubli ?
Conscients des malentendus que provoquent de telles situations, les pouvoirs publics se sont donc penchées sur la question. ll était en effet nécessaire de faire évoluer la législation, puisque la probabilité de réalisation du risque baisse aujourd’hui pour beaucoup de pathologies lourdes, grâce aux progrès de la recherche médicale, élément qui pourrait être mieux pris en compte dans la tarification des assureurs. Rappelons qu’une surprime, une exclusion de garantie ou un refus d’assurance sont appliqués par l’assureur et son réassureur en fonction de la probabilité de survenance de rechutes et d’effets secondaires entraînant l’incapacité de travail, l’invalidité ou le décès de l’assuré. Cette probabilité est évaluée par les Départements techniques (Actuariat) des Assureurs et des Réassureurs qui observent et actualisent en permanence les données qui interviendront dans le calcul des primes et des surprimes (tables de morbidité et de mortalité, statistiques, données épidémiologiques…).
C’est justement sur ce principe que le bât blesse : estimant que que le sort réservé par les assureurs aux risques aggravés présentés par les victimes de certaines pathologies lourdes et durables n’était pas synchrone avec la probabilité actuelle de réalisation de ces risques, et que les tarificateurs n’étaient pas à jour des avancées de la recherche médicale, le gouvernement actuel, dans le cadre de son plan cancer, a ainsi souhaité renforcer le droit des assurés.
Alors… assureurs voleurs ?
De là à accuser les assureurs de malhonnêteté, il n’y a qu’un pas. Il est néanmoins nécessaire de rappeler que le principe de la mutualisation en assurance repose sur un équilibre obligatoire entre primes payées par les assurés et prestations réglées en cas de sinistre par l’assureur. Les assurés présentant un risque de sinistre plus important doivent donc mécaniquement contribuer davantage aux fonds qui les indemnisera. Par ailleurs, l’assureur est réglementairement contraint de provisionner le règlement des sinistres qu’il couvre à un instant t. Pour assurer cet équilibre, il tarifie au plus juste, ne serait-ce que pour faire face à un marché rendu de plus en plus concurrentiel par le jeu des rapprochements entre les acteurs de l’assurance. Il serait donc erroné d’accuser les assureurs de réaliser des marges injustifiées sur leurs tarifs de base, pas plus d’ailleurs que sur les surprimes qu’ils appliquent. Surprimer certains assurés du groupe, ou exclure des garanties ou des risques, est de plus intrinsèque à la mutualisation : cette pratique permet en effet de lisser le montant des primes pour l’ensemble du groupe assuré, et ainsi de maintenir son équilibre financier.
Néanmoins, si les assureurs ne cherchent pas à réaliser des profits sur leurs assurés les plus en danger, ils restent certes encore frileux à assurer certaines personnes, et c’est davantage les refus et exclusions de garantie qu’il était temps d’encadrer plus étroitement. Pour autant, la perception qu’ont les assurés de l’assureur est déformée par le mythe du tout égalitarisme dans lequel baigne l’Occident, et qui n’empêchera pas que certains assurés devront payer plus en raison de leur situation personnelle. Pour l’éviter, il faudrait augmenter le tarif normal et l’appliquer à l’ensemble du groupe assuré ; une condition que les adhérents en bonne santé renâcleraient à accepter
Car l’assuré a changé, et les assureurs, recherchant des relais de croissance et d’innovation, Big data en bandoulière, ont anticipé son besoin de segmentation et de sur-mesure : courtisé et client roi, l’assuré du XXIème siècle ne veut payer que pour les risques qu’il présente à titre individuel, ou que lui et un cercle concentrique restreint présentent. En assurance automobile, le succès immédiat et jamais démenti de l’assurance sur mesure Amaguiz, au modèle vite adopté par les assureurs concurrents, est à cet égard révélateur… et date déjà d’il y a quelques années. En santé et en prévoyance, on entendra bientôt de jeunes assurés défendre benoîtement leur droit à ne pas payer « pour les vieux », dont les dépenses de santé sont de facto nettement supérieures, comme si eux-mêmes ne vieilliraient jamais.
On le voit, la question du droit à l’oubli, qui se devait d’évoluer, sert également de révélateur à l’évolution de la relation entre les assurés et leurs assureurs, les attentes du premier certes flattées par le clientélisme du second…