Clauses de désignation : destin scellé ?
Relayées, quasi exclusivement par des médias spécialisés, les clauses de désignation n’ont que très rarement fait écho dans l’actualité du tout à chacun, malgré les enjeux importants et les antagonismes forts.
Solidarité professionnelle ou entrave à la libre concurrence, faisons un retour en arrière pour comprendre les divergences autour des clauses de désignation.
Les origines des clauses de désignation
Les entreprises ont recours à des contrats de protection sociale complémentaire pour compléter les indemnités journalières de la Sécurité sociale, afin de répondre aux obligations en matière de maintien de salaire et de prévoyance inscrits dans la Convention Collective. Ces contrats peuvent être fournis par trois types d’organismes : compagnies d’assurance ; mutuelles ; institutions de prévoyance.
Il existe dans les conventions collectives des entreprises ou dans les accords de branche d’activité, des clauses dites de désignation et de recommandation qui, respectivement, octroient une exclusivité de gestion à un organisme ou qui recommandent la souscription de ce contrat d’assurance collective auprès d’un preneur de risque identifié. Les acteurs non désignés se voient donc exclus de certains marchés.
Le différent réside dans le fait que ces clauses sont érigées par les organisations gouvernant les institutions de prévoyance ; il s’agit des partenaires sociaux, syndicats professionnels de salariés et d’employeurs. La majorité de ces clauses désignent donc des institutions de prévoyance, pour assurer le risque de protection sociale complémentaire. Dénoncé par des associations, des compagnies d’assurances, des fédérations ou des sociétés d’intermédiation et syndicat de courtiers, le sort des clauses de désignations semble bel et bien scellé.
Des clauses de désignation encadrées par une juridiction complexe
D’un point de vue juridique, les clauses de désignation puisent leurs origines dans le code de la Sécurité sociale : articles L912-1 et L912-2. Elle octroie une exclusivité de gestion à un organisme identifié. Les clauses de recommandations préconisent simplement un organisme. Il est à noter que selon Patrick Bernasconi, représentant du MEDEF, 80% à 90% des sociétés d’une branche adhèrent auprès du partenaire recommandé, mais ils n’y sont pas contraints légalement, comme dans le cas d’une désignation.
La Fédération Française des Sociétés d’Assurance, ainsi que d’autres acteurs sur ce marché, ont joué un rôle important dans la censure de ces clauses et ont portés ce dossier devant les autorités Européennes.
La cour de Justice Européenne, dans son arrêt du 3 mars 2013, n’a pas pris en compte l’argument de l’atteinte à la libre concurrence ni celui de l’abus de position dominante dénoncé. Le caractère licite de ces clauses est donc renforcé une première fois. Fin 2013, la cour de cassation reprend l’analyse faite par la cour de Justice Européenne et renforce à nouveau les désignations.
L’assurance collective est régie par de nombreux textes de lois tels que la loi Evin, la convention collective nationale des cadres de 1947, la loi de mensualisation, l’Accord National Interprofessionnel…C’est l’ANI du 11 janvier 2013 qui accentue la contestation. Au-delà du fait de généraliser la complémentaire santé à l’ensemble des salariés du secteur privé à partir du 1er janvier 2016 et d’augmenter la portabilité des droits santé et prévoyance à 12 mois contre 9 précédemment, l’ANI reconnaît l’existence des clauses de recommandations sans faire mention des clauses de désignation.
Le gouvernement, dans son article de la loi de sécurisation de l’emploi, renforce à nouveau la généralisation de la complémentaire santé, mais souligne aussi la possibilité d’identifier un ou plusieurs fournisseurs d’assurance sous la forme de désignation ou de recommandation.
Le feuilleton ne s’arrête pas là puisque le conseil constitutionnel a rappelé au législateur le principe de liberté contractuelle en tant que principe à valeur constitutionnelle en juin 2013 et déclare l’article L.912-1 du code de la Sécurité sociale contraire à la déclaration de 1789.
Aboutissement d’une lutte acharnée pour certains, menace pour le développement de l’activité pour d’autres, il semblerait bel et bien que le débat juridique soit tranché. Pour preuve, l’accord de la branche Boucherie signé le 6 mai 2013, désignant une institution de prévoyance, a été annulé. L’ensemble des clauses, actuellement en vigueur, ne reverra pas le réexamen quinquennal et disparaîtra au terme contractuel.
Enfin, en Décembre 2013, le conseil constitutionnel a à nouveau censuré le dispositif d’incitation fiscale à suivre la recommandation. L’attraction fiscale proposée consistait à réduire la valeur du forfait social.
Vers une ouverture du business pour les acteurs du marché
La fin des clauses de désignation signifie que les acteurs de ce marché vont pouvoir rentrer en contact avec toutes les entreprises du secteur privé, toutes branches confondues, ce qui n’était pas permis auparavant du fait de l’obligation d’adhérer au régime du désigné, les clauses de recommandation restant intactes.
En théorie, les perspectives sont nombreuses, à commencer pour les sociétés d’intermédiation en assurance ou société de courtage. Certaines d’entre elles ont su développer un réel savoir-faire et une expertise dans l’accompagnement des entreprises sur les problématiques de reclassement, de santé au travail, de soutien psychologique et également dans le cadre de la gestion des prestations (cas de délégation). Le courtage en assurance collective, pour certains, n’est pas qu’une simple histoire de mise en relation, mais bien une prestation complète, où le partage de l’expertise et l’accompagnement du client sont rois. L’ouverture du marché laisse présager des campagnes de prospection intéressantes et le développement d’offres différenciantes.
Les compagnies d’assurance et les mutuelles quant à elles, voient également s’ouvrir de nombreux nouveaux marchés pour de l’assurance en direct. Il semble que la nécessité de sensibiliser le marché sur l’aboutissement du combat juridique soit forte, quand on connaît le fort niveau d’adhésion dans le cadre des clauses de recommandations subsistant malgré tout, comme le rappelle Pierre GATAZ. De leur côté, les Institutions de prévoyance ne souhaitant pas connaître une forte attrition, devront mener des campagnes de défense de portefeuille qui viseront à témoigner l’expertise par branche d’activité et défendre les principes de la mutualisation.
Après plusieurs mois, depuis la décision du conseil constitutionnel, la transformation du marché semblerait prendre du temps. En effet, capter le nouveau marché ne sera pas une mince affaire d’autant que l’ANI ne concerne que les petites entreprises ; les entreprises structurées disposent déjà de régimes de remboursement de soins complémentaire. La généralisation des complémentaires santés et la censure des désignations laissent néanmoins présager des perspectives intéressantes pour le marché des assurances collectives.
La justice a donc tranché sur l’existence de ces clauses, mais un nouveau débat tend à se développer et à animer les discussions : le sort des clauses de désignation en vigueur. En effet, si les clauses sont invalides, pourquoi sont-elles encore tolérées et pourquoi le client n’aurait pas la possibilité d’utiliser sa faculté de résiliation annuelle prévue dans le code des assurances ?