Dans la lignée de l’effervescence que suscite actuellement le phénomène Block Chain, les grandes manœuvres sont lancées autour des Smart Contracts. Tous les domaines régis par un contrat sont concernés, et notamment le marché de l’assurance. Les assureurs ont bien perçu le potentiel de ces smart contrats, et tentent par le biais d’expérimentations de répondre aux interrogations suscitées. Structure de coût, proposition de valeur, activités clés, rapports sociaux : les Smart Contracts impacteront-ils de manière significative le rôle et le modèle économique des assureurs ? Comment cette restructuration peut-elle s’opérer ? Quels sont les cas d’usage envisageables en assurance ? Quels sont les défis relatifs à leur mise en œuvre ?

Smart Contracts, de quoi parle-t-on ?

Prenez les règles et les engagements d’un contrat, quel qu’il soit, et traduisez le dans un langage de programmation informatique : vous obtiendrez un Smart Contract. Ou sa base. Mettez-le à la disposition d’utilisateurs grâce à un réseau distribué, sans régulateur – comme un protocole Block Chain par exemple… Vous obtenez alors un composant qui suit une seule et même logique, quel que soit son utilisateur. Les règles paramétrées s’appliquent selon des sources certifiées, appelées Oracle, ou sur la base de votes.  Vous y êtes. Vous avez un Smart Contract. Ces “programmes” sont auditables par toutes les parties autorisées de la Blockchain, dont l’activité est également contrôlée et vérifiée. Le système  assure ainsi la non aliénation des termes et garanties des contrats en empêchant tout changement qui pourrait s’opérer durant leur période de validité.

Une nouvelle ère assurantielle

Certaines compagnies d’assurance ont lancé des expérimentations sur la garantie sècheresse couvrant une exploitation agricole contre le risque climatique. L’expérimentation a consisté à paramétrer ce contrat dans un protocole Block Chain afin qu’une fois l’information “Il n’a pas plu sur cette région depuis plus de N jours” certifiée par le croisement de sources fiables (sites météo, vote multi-parties : syndicat d’agriculteurs, compagnie, expert…) les chaînes d’indemnisation soient déclenchées automatiquement. Finies les déclarations de sinistres, les temps de traitements front et back office (remises, barèmes…), les dépôts, séquestre et provisions comptable, les expertises locales ou les purges de clôture de dossiers… La promesse de nouvelle ère s’annonce pour les assurances : celles de contrats programmés, déclenchés et exécutés automatiquement, pour le plus grand bénéfice des assurés et des assureurs.

Les cas d’application fourmillent parmi les pans assurantiels, pour fluidifier les rapports entre les parties. Ces contrats permettent l’automatisation d’une grande variété de processus commerciaux, d’indemnisation, ou contractuels, par exemple :

  • La relation Client et sa prise en charge : conservation de données Santé du client i.e. sorte de nouveau Dossier Médical Patient (DMP) à des fins d’automatisation de prise en charge, dans un modèle désintermédié i.e. court-circuit d’organismes tiers
  • Souscription en temps réel et assurance à l’usage : le temps réel apporté par le protocole offre des opportunités d’assurance immédiate, par substitution avec un tiers, par exemple
  • Programme de fidélité sur la base de bitcoins marqués par la compagnie
  • Indemnisation par un contrôle automatisé des garanties ou assurances paramétriques : IARD, MRH…
  • Clôture automatique de contrats et application de la loi Eckert (déshérence)
  • Conventions et recours : désintermédiation du Groupement des conventions d’assurances (GCA) ou tout autre organisme centralisateur…
  • International : simplification des étapes de transfert de données d’une entreprise mère vers sa filiale
  • Comptable : libération de stock de provision comptable optimisée

Les smart contracts génèrent de nombreux bénéfices, parmi lesquels une diminution drastique des frictions entre contractants. Liées à un manque de transparence sur les conditions d’exécution des contrats et clauses contractuelles, ces tensions disparaissent avec la blockchain, car c’est la communauté qui vérifie le bon respect de ces clauses. Un deuxième bénéfice notable est la réduction des risques d’erreurs et des coûts, notamment des coûts relatifs aux activités de vérification, d’exécution, d’arbitrage  ou de suivi, ainsi que ceux relatifs aux contentieux et aux fraudes. Les smart contracts permettent également une baisse remarquable des délais d’exécution d’un contrat et de prise en charge des demandes, tels que les délais de remboursement. Par ailleurs, les clients n’ont plus de démarche à effectuer, ce qui augmente leur satisfaction.

Du conte de fée… à la réalité du terrain

Le protocole Block Chain a permis l’émergence des monnaies cryptographiques et du Bitcoin il y a 6 ans, avec une capitalisation proche de 10 milliards d’euros en 2016. C’est la course à l’occupation de champs vierges offerts par le nouveau protocole. Ainsi, les ténors du marché logiciel (Microsoft, IBM…) lancent en 2016 leurs offres Baas (Blockchain as a service, Azure and Bluemix cloud respectivement). AWS (Amazon Web Services) a ouvert ses plateformes bac-à-sable Blockchain et investit dans des startups spécialistes du sujet, à l’instar de Google et Apple avec de Ripple Labs, ou Salesforce avec MetaMind. Cette grande mobilisation est une preuve des préoccupations et des paris du marché dans la Blockchain – habituels lors des grandes découvertes et innovations.

Force est de constater qu’il y a aujourd’hui beaucoup d’effets d’annonce et de positionnement, sans réel aboutissement. Les pure players du marché regardent ce grand mouvement d’un air malicieux et continuent d’élargir la communauté de spécialistes pour évangéliser autour des capacités de la technologie. Ray Valdes, VP chez Gartner, estimait en octobre 2015 que 90 % des projets reposant sur Blockchain lancés cette année échoueront dans les deux ans. Notre expérience montre qu’un état d’esprit en rupture peut s’avérer gagnant pour un client-explorateur des possibilités du protocole. Renverser la table et imaginer de nouveaux cas métier favorisés par la Block Chain est davantage synonyme d’avancée et de succès que tenter de reproduire un cas métier à l’identique.

S’agissant des Smart Contracts, l’époque est à l’acculturation, l’expérimentation et l’exploration : on constate l’apparition de nombreuses initiatives dont l’objectif est moins de se différencier, que d’imaginer les opportunités et les freins à l’adoption que recèlent véritablement la technologie et le protocole. Citons comme exemple la contrainte juridique : la Banque d’Angleterre a observé que le « Bitcoin a montré qu’il est possible de transférer de la valeur en toute sécurité sans passer par un tiers de confiance ». La France a été la première en Europe à introduire une définition de la Block Chain par une ordonnance du 26 avril 2016 et elle travaille sur les conditions de mise en œuvre des smart contracts et sur l’identification des responsabilités en cas de défaillance. Les stratégies de mise en commun de ressources (open innovation), joint venture – ou coopétition – sont courantes à l’heure actuelle, pour sonder le phénomène. Les rapprochements Compagnie ⇔ Fintech et Start up se développent sans réellement maîtriser le devenir de ces collaborations.

Gouvernance et aléa moral liés aux smart contracts

La dématérialisation amène systématiquement de nouveaux comportements chez le consommateur, souvent non anticipés, tels que la consommation d’un bien monétisé dans le cadre d’un programme de fidélité ou des comportements lors d’une souscription ou déclaration en ligne…Un des domaines fondateurs de la Block Chain – encore peu abordé dans la littérature – est sa Gouvernance et les comportements humains et sociétaux associés : quel principes directeurs pour un mouvement basé sur l’open source ? Quid de la substitution de la confiance entre acteurs intrinsèque aux marchés financiers, par la confiance dans la transaction promise par la Block Chain ?

Dans le cadre des Smart Contracts, une des intuitions est l’aléa moral ou risque moral des assurés vis à vis de l’événement assurantiel. En prenant l’exemple de la garantie sécheresse, quelques situations qui challengent le modèle et sa promesse : la remise en question de la véracité de l’Oracle par les assurés – par collusion éventuellement, des actions locales des assurés pour favoriser le sinistre (canon anti-pluie par exemple), vandalisme sur les pluviomètres… Nous creuserons ce sujet dans de futures publications.