L’assurance est un service aujourd’hui largement présent au sein des économies des pays dits développés. On considère ainsi que, à l’échelle mondiale, près de 90% des cotisations sont acquittées par les populations européenne, japonaise et américaine[1]. La contribution de l’assurance dans le développement économique et social des pays développés n’est plus un sujet en soi puisque ceux-ci disposent déjà d’un environnement socio-économique mature. Surtout, il est nécessaire de rappeler que la demande et l’offre assurantielle ainsi que   leurs évolutions à la hausse ou à la baisse s’inscrivent nécessairement dans un contexte local[2] et que, de fait, on ne peut envisager le rôle de l’assurance de la même façon dans les pays dits développés que dans les pays dits émergents, voire dans les pays les moins avancés (PMA)[3].

Pourtant, on constate ces dernière années un  déplacement du centre de gravité des investissements des assureurs des pays développés, où le marché est généralement présenté comme mature, vers des économies « émergentes »[4]. Ce faisant, et outre les stratégies financières particulières inhérentes au déplacement de ce centre de gravité, l’assurance peut agir efficacement dans ces pays et contribuer à leur développement – les rapports rédigés par les économistes de la Banque Mondiale sur le développement dans le monde le rappellent régulièrement.

Qu’en est-il en matière de commerce international ? L’assurance-crédit export, destinée à financer un contrat d’exportation de biens d’équipement ou de services signé entre un exportateur et un acheteur, lui-même importateur de biens ou de services représente un levier parmi d’autres de développement pour les entreprises, locales ou internationales, implantées dans des pays émergents. D’autant que ce type spécifique d’assurance est souvent soutenu par les compagnies d’assurances nationales (la Coface en France, Euler Hermes en Allemagne, l’ECGD au Royaume-Uni ou encore l’ExIm Bank aux États-Unis) mais est également proposée par toutes les compagnies privées mondiales.

Au-delà des effets économiques positifs, réels, de l’assurance au sein des pays émergents et pour le commerce international, nous proposons ici d’analyser les contraintes et les risques inhérents au développement des solutions d’assurance, et notamment de l’assurance-crédit export, dans ces pays.

En effet, on constate que, dans les pays émergents, les risques politiques peuvent restreindre l’accès à l’assurance et en minimiser, en conséquence, les effets (I). De plus, l’assurance, parce qu’elle présuppose la mise en place de mécanismes économiques particuliers, doit nécessairement s’adapter aux contraintes multiples présentes dans ces pays (II).

 

*

*         *

 

Les pays émergents : des marchés risqués à fort potentiels de croissance

Le risque politique, souvent plus important dans les pays émergents, est un facteur indissociable des stratégies d’investissement des assureurs, notamment dans le domaine de l’import-export. Cependant, ces risques politiques, protéiformes, n’entrainent pas nécessairement une baisse des importations ou exportations des économies émergentes. Celles-ci représentent donc des marchés risqués mais à fort potentiel de développement économique.

Le risque politique, principal aléa dans l’activité d’import/export

Le risque politique se caractérise par le risque que des événements d’ordre politique ou administratif, à l’échelle nationale ou internationale, engendrent des pertes économiques, commerciales ou financières pour l’entreprise, qu’elle soit importatrice, exportatrice, ou investisse à l’étranger, dans un ou plusieurs pays. Les origines du risque politique sont multiples : guerre, révolution, corruption, changement de lois fiscales… Selon l’étude annuelle réalisée par la compagnie AON, en 2016, le risque politique a pour la première fois depuis des années observé une baisse au niveau mondial[5]. Cette tendance s’explique par la mise en place de réformes ou à la levée de sanctions économiques dans des pays tels que l’Iran, la Chine, la Birmanie ou encore le Pakistan. Pour autant, l’impact de la baisse durable du prix des matières premières sur l’économie mondiale pourrait avoir des répercussions considérables sur la stabilité politique de certains pays, qu’il s’agisse des pays producteurs ou de leurs voisins.

En effet, les variations à la baisse des cours du pétrole, qui représentent la première cause de risque selon Aon, ont davantage fragilisés des pays exportateurs tels que l’Irak, la Libye, la Russie ou encore le Venezuela. L’étude précise également que les pays dotés d’institutions politique et économiques solides et possédant de plus grandes réserves de devises étrangères seront mieux positionnés pour minimiser les risques de défaut de paiement. Il s’agit par exemple de la Colombie, de la Malaisie ou encore du Kazakhstan.  En revanche, les pays qui pourraient bénéficier de cette baisse du brut, comme l’Égypte, la Tunisie ou le Maroc, pourraient également être affectés par la dégradation de la sécurité dans des pays limitrophes tels que l’Irak, l’Algérie, le Nigéria, la Libye ou la Syrie.

En Iran, la récente levée des sanctions internationales, a largement contribué à la baisse du risque politique, qui reste toutefois élevée. Mais le rôle que seront amenés à jouer les Gardes Révolutionnaires dans l’économie iranienne n’est pas encore défini, concourant ainsi  à entretenir le flou sur l’avenir du pays. La situation est plus ou moins analogue en Birmanie, où les élections de novembre 2015 ont abouti à la victoire du parti d’opposition d’Aung San Su Kyi, ouvrant ainsi les portes d’une libéralisation des échanges et des investissements. Cependant, la présence des militaires au Parlement, la résurgence des tensions ethniques ainsi que la corruption endémique menacent le pays, bien que l’introduction d’un gouvernement réellement démocratiquement élu puisse progressivement réduire ces risques au fil du temps.

Les perspectives de nombreux marchés émergents reposent sur la capacité du pouvoir politique à mettre en œuvre les réformes auxquelles ils se sont engagés. Cela permettra d’attirer plus d’investissements, dans une période où la baisse des échanges et de la croissance économique mondiale accroît la concurrence capitalistique. Afin de contrer les effets pervers de cette conjoncture, l’Inde et l’Indonésie ont engagé d’importantes réformes économiques. Cependant, ces pays éprouvent des difficultés quant à leur mise en oeuvre, condition indispensable à la réduction des risques. La situation est inverse aux Philippines, où, suite à l’élection du très controversé Président Rodrigo Duterte et à la mise en place de ses promesses sociales et économiques, le peso a atteint son plus bas niveau depuis sept ans et pourrait devenir un frein aux importations du pays.

image risque

Source : Aon Political Risk Map 2016

Malgré la baisse du commerce mondial, l’assurance import/export reste une activité lucrative pour les assureurs.

Malgré une baisse du commerce mondial[6], le maintien du risque politique à un niveau élevé, comme nous venons de le voir, bénéficie aux assureurs. En effet, les membres de l’Union de Berne, association regroupant des compagnies  spécialisées dans l’assurance à l’export et aux investissements, ont réalisé en 2015 1,78 trilliards de revenus, soit une hausse de 7% par rapport à 2014. Cela représente 11% du commerce international. Parallèlement, l’association a également vu ses remboursements de sinistres augmenter de 38%, passant de 4,3 à 5,9 milliards de dollars[7].

Si l’on zoome sur les produits d’assurance proposés, les polices dites de « courts terme » (assurance à l’export avec remboursement à moins d’un an) qui concernent principalement l’expédition de biens consommables, reflètent les tendances économiques mondiales dans la mesure où leur volume a baissé de 7% entre 2014 et 2015 tandis que les indemnisations des exportateurs ont progressé de 2 à 2,6 milliards sur la même période[8]. Les pays en tête des défauts de paiement sont la Russie, le Brésil, le Venezuela et l’Arabie Saoudite.

L’assurance-crédit de moyen-long terme, qui concernent principalement des biens non consommables a quant à elle progressé de 1,2%, passant de 650 à 658 milliards, alors que les demandes d’indemnisations ont bondi de 51%, passant de 2,15 à 3,25 milliards[9]. Parmi les pays les plus concernés, on retrouve notamment le Brésil, l’Iran et l’Ukraine.

En conclusion, on observe que même si le nombre d’indemnisations a drastiquement augmenté en 2015, l’assurance à l’export continue d’être prisée par les entreprises désireuse d’exporter ou d’investir à l’étranger. En effet, 2015 et 2016 ont été des années dominées par des risques géopolitiques, ce qui est bénéfique pour les assurances, mêmes si les sinistres augmentent. D’autre part, la récente levée des sanctions en Iran ou l’ouverture en Birmanie garantissent un riche futur aux assureurs[10].

*         *

 

L’assurance-crédit export est un levier de développement social et économique soumis à la fois aux limites de l’environnement économique et aux limites propres à l’assurance

Même si les pays émergents représentent des marchés risqués, l’assurance est un service qui peut contribuer au développement de tissus économiques locaux. Cependant, et comme pour toute problématique à fort enjeu économique, il existe des limites au développement de l’assurance-crédit export dans ces pays Que ces limites soient constatées ou prédictibles, elles reposent sur au moins deux problèmes qui tiennent tous deux de considération purement économiques : l’inversion du cycle de production et le mécanisme de la mutualité peuvent paraitre – dans le cas de pays émergents – relever de principes incohérents voire improductifs.

L’assurance : un service de proximité qui contribue au développement d’un tissu économique local

Tandis que l’Inde et la Chine focalisent aujourd’hui la majorité de l’intérêt des assureurs et investisseurs des pays développés, ce serait une erreur de réduire le potentiel de croissance et de développement de l’assurance import/export à quelques grands pays émergents. En effet, elle est avant tout, comme tout type d’assurance, un service de proximité qui s’ancre profondément dans une réalité locale (à l’échelle d’une région, d’une province, d’une ville etc.).

Dans le cas d’une offre en assurance-crédit export, l’impact sur le tissu économique peut être significatif. On notera par exemple les possibilités en matière de soutien au développement de TPE/PME locales de transports qui, si elles sont correctement assurées, n’auront plus ou peu à supporter les coûts liés aux pertes de marchandise ou aux défauts fournisseur. Cependant, les réalités très diverses des tissues économiques locaux des pays émergents rendent difficile une stratégie uniforme d’investissement.

De plus, il convient de rappeler que certaines caractéristiques, apparues récemment dans les pays émergents, encouragent les compagnies d’assurance à s’y installer[11]. Ainsi, l’émergence d’une classe moyenne urbanisée de plus en plus nombreuse et désireuse de s’assurer pour améliorer sa protection sociale et la croissance constatée du taux d’épargne et de la souscription d’assurance vie sont deux caractéristiques encourageantes pour les investisseurs.

Les mécanismes économiques du cycle de production inversé et de la mutualité : des paradoxes ?

Ces mécanismes, largement répandus dans les études théoriques en assurance, méritent d’être analysés à l’aune des spécificités économiques des pays émergents.

L’inversion du cycle de production

Si l’inversion du cycle de production, qui induit une connaissance du prix de revient a posteriori et un paiement a priori (dans le cadre de l’assurance, le marqueur temporel en fonction duquel le prix est déterminé et le paiement est réalisé est évidement le risque), est possible dans une économie développée dans laquelle les mécanismes d’assurance et de réassurance sont financièrement solides, qu’en est-il dans un pays émergent dont l’économie est plus fragile ?

En effet, les prévisions et provisions des assureurs peuvent s’avérer insuffisantes pour l’indemnisation de l’ensemble des sinistres survenus au cours d’une période. Si l’on considère maintenant que les pays émergents, y compris les plus avancés, (la Chine et l’Inde) sont aussi les plus exposés aux risques de catastrophes naturelles[12] (risques extrêmement couteux en indemnisation), les besoins en fond d’assurance et réassurance sont alors plus élevés. Pour l’assurance-crédit export, on pourra par exemple considérer que le risque de piraterie[13] – essentiellement présent en Indonésie, aux détroits de Singapour et Malacca, dans le Golfe d’Aden, dans le Golfe de Guinée, au Brésil, au Pérou et en Colombie – génère davantage de coûts pour les pays émergents qui sont, de fait, les plus exposés.

La mutualité

Outre les besoins en provisionnement qui peuvent s’avérer importants, un second mécanisme, pourtant intrinsèque au mécanisme assurantiel, peut s’avérer un frein au développement de l’assurance import-export dans les pays émergents : la mutualité.

Si le mécanisme de mutualité – qui présuppose la contribution par avance de chaque membre de la mutualité à une réserve d’argent nécessaire au règlement des sinistres qui peuvent survenir à tout moment pendant la période de garantie – est depuis longtemps été éprouvé au sein des économies riches, qu’en est-il pour des économies dont la moitié de la population ou plus vit sous le seuil de pauvreté défini par la Banque mondiale ?

Là encore, les mécanismes assurantiels traditionnels peuvent rapidement se confronter à leurs propres limites. Toutefois, le microcrédit et son corollaire, la micro-assurance[14], qui sont devenus depuis quelques années de nouveaux vecteurs de solutions économiques concrètes pour des millions de personnes, y compris au sein des pays développés et qui sont tout à la fois concurrents et complémentaires de l’assurance classique (et de la banque) peuvent nous apporter des premiers éléments de réponse.

*

*         *

Il ne faudrait pas considérer l’assurance comme un moyen de redistribution des richesses utilisable par les pouvoirs publics. En effet, les assureurs ne peuvent proposer que des garanties ex ante, basées sur l’occurrence future des risques calculée sur la base de l’aléa objectif et qui permet la mutualisation de ces risques. L’assurance n’est donc pas à proprement parler un moyen de développement direct d’une économie. Quoi qu’il en soit, les compagnies d’assurance devront trouver de nouvelles alternatives pour se développer. Qu’il s’agisse de la digitalisation des services, du pari de l’investissement sur des entreprises locales ou d’accords entre compagnies, l’assurance devra tenir compte des nouvelles formes que prend la mondialisation actuelle, qui intègre toujours d’avantage le citoyen-client demandeur de services agiles, fiables et peu onéreux.

[1] Ce qui n’est pas sans souligner, au passage, l’actualité du concept définie par Kénichi OHMAE en 1985 et connue sous le terme de « Triade ».

[2] Contexte évaluable par exemple par le biais d’indicateurs tels que le PIB, l’IDH etc.

[3] Les PMA sont une catégorie de pays définie par l’Organisation des Nations unies et qui regroupe les pays les moins développés socio économiquement de la planète.

[4] Voir l’article écrit par Emmanuel LEVY sur le blog Insurance Speaker : https://www.insurancespeaker-wavestone.com/2014/05/les-marches-emergents-nouveau-terrain-de-jeu-des-assureurs-internationaux/

[5] http://www.businessinsurance.com/article/20160307/NEWS06/160309858/annual-aon-map-shows-global-reduction-in-political-risk?tags=%7C59%7C76%7C313%7C83%7C329%7C302

[6]http://www.eulerhermes.fr/mediacenter/actualites/Lists/NewsDocuments/CP_CommerceMondial_25102016.pdf

[7] http://www.berneunion.org/wp-content/uploads/2015/12/Berne-Union-YearBook-2015.pdf

[8] http://www.berneunion.org/wp-content/uploads/2016/09/Berne-Union-2016-Charts-and-numbers-for-website.pdf

[9] http://www.berneunion.org/wp-content/uploads/2016/09/Berne-Union-2016-Charts-and-numbers-for-website.pdf

[10] http://www.gtreview.com/news/global/trade-credit-insurance-tough-2016/

[11] Voir l’article écrit par Emmanuel LEVY sur le blog Insurance Speaker : https://www.insurancespeaker-wavestone.com/2014/05/les-marches-emergents-nouveau-terrain-de-jeu-des-assureurs-internationaux/

[12] Voir par exemple http://www.maxisciences.com/catastrophe-naturelle/catastrophes-naturelles-la-chine-et-l-039-inde-sont-les-pays-les-plus-menaces_art2476.html

[13] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/infos-pratiques/risques/piraterie-maritime/

[14] Voir https://www.microfinancegateway.org/fr/sujets/microassurance et http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20120803trib000712620/micro-assurance-une-activite-noble-mais-difficile-a-rentabiliser.html