La déshérence : un problème de qualité des données
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Eckert au 1er janvier 2016, les assureurs sont soumis à de nouvelles obligations vis-à-vis des contrats d’assurance-vie en déshérence. Ils mobilisent ainsi des moyens importants pour se mettre en conformité, mais ont également l’opportunité de se pencher sur une problématique plus large, celle de la qualité de leurs données clients.
Un problème de qualité des données
Le terme déshérence désigne les contrats d’assurance-vie pour lesquels les capitaux n’ont pas été versés au bénéficiaire après le décès de l’assuré ou au terme du contrat. Promulguée en juin 2014, la loi Eckert impose aux assureurs de rechercher activement les bénéficiaires de ces contrats et, en cas d’échec et au bout de 10 ans, de transférer les avoirs détenus à la Caisse des Dépôts.
Ces recherches sont néanmoins rendues difficiles par l’absence ou la mauvaise qualité des données clients. L’analyse des registres d’assurés a ainsi permis de découvrir que de nombreuses adresses n’étaient pas à jour, ou que des assurés décédés étaient à tort considérés en vie. Certaines clauses bénéficiaires se sont également révélées incomplètes ou insuffisamment précises.
De plus, le fait que certains systèmes d’information d’assureurs soient constitués de multiples sous-systèmes, fonctionnant en silos et reposant sur des technologies plus ou moins anciennes suite notamment à des fusions ou des acquisitions, complexifie la recherche et l’exploitation de ces données. Dans le même temps, les assureurs doivent parfois fouiller dans des archives papiers qui n’ont pas été numérisées, et récupérer des données clients auprès de délégataires de gestions dont le pilotage a pu être succinct.
Une mise en conformité en urgence
Devant les sanctions prononcées par l’ACPR et l’entrée en vigueur de la loi Eckert, les assureurs se sont emparés du sujet en urgence. Afin d’épurer leur stock de contrats en déshérence, ceux-ci ont ainsi mobilisé en interne et mis en place des cellules dédiées. L’ACPR souligne ainsi dans son dernier rapport que 2100 ETP étaient mobilisés sur le sujet en 2015, contre 200 en 2008. En parallèle, les assureurs ont pu solliciter des prestataires tels que des cabinets d’enquête et des généalogistes afin de rechercher les bénéficiaires « disparus ».
Dans le but d’industrialiser et de pérenniser leurs process d’identification et de traitement de la déshérence, les assureurs ont également dû revoir leur outillage. Ceux-ci ont notamment travaillé à automatiser le croisement des données des assurés avec le RNIPP (Répertoire National d’Identification des Personnes Physiques, registre d’Etat permettant d’identifier les personnes décédées) ou encore l’envoi de courriers aux mairies pour récupérer des actes de décès. Afin de prouver leur engagement de moyens à l’ACPR, les assureurs ont par ailleurs travaillé à historiser les différents actes de gestion réalisés, à numériser les clauses bénéficiaires, à amender la politique de communication vis-à-vis des assurés/bénéficiaires et à produire les reportings réglementaires demandés.
Les derniers rapports de l’ACPR témoignent ainsi de l’intensification des recherches des assureurs pour identifier leurs contrats en déshérence. L’intensification des travaux a concouru notamment à revoir le montant des capitaux en déshérence à la hausse, de 2,8 milliards d’euros en 2013 à 5,4 en 2015.
Mieux vaut prévenir que guérir
Toutefois, après avoir pallié à l’urgence à grands frais, les assureurs gagneront sans doute à aborder la problématique de manière plus préventive en améliorant en amont la qualité de leurs données clients.
Afin de limiter l’apparition des cas de déshérence, les assureurs pourraient ainsi entreprendre de fiabiliser et d’enrichir leurs bases clients en croisant des données issues de différentes sources : sources internes, sources semi-publiques (INSEE, AGIRA, référentiels postaux, FICOVIE), sources de partenaires (opérateurs téléphoniques, généalogistes, notaires, VPCistes…), ou Internet (Google maps, réseaux sociaux,…). Pour ce faire, les plus ambitieux pourraient se tourner vers des solutions de type Big Data, même si des outils plus légers et plus centrés sur la déshérence existent aussi sur le marché.
Pour maintenir la qualité de leurs données clients sur le long terme, les assureurs pourraient en parallèle mettre en oeuvre une véritable politique de gestion des données à l’échelle de l’entreprise. Celle-ci reposerait notamment sur une gouvernance transverse, un référentiel de données partagé, ainsi que sur des procédures et des outils permettant le contrôle et le traçage des données. Enfin, la mise à jour d’éléments clés tels que la clause bénéficiaire ou les adresse postales et emails pourrait passer par une prise de contact plus régulière avec les clients. Ceci constituerait en même temps une opportunité de fidélisation, puisque l’on pourrait proposer à l’occasion des évolutions dans les contrats existants ou de nouvelles souscriptions.
La possibilité de transformer la contrainte en opportunité
De manière générale, ces actions menées en matière de qualité des données clients pourraient avoir des impacts bénéfiques dans des domaines autres que la déshérence.
En premier lieu, ces actions affecteraient positivement d’autres projets réglementaires, au premier rang desquels Solvabilité 2, puisque la directive exige des sociétés d’assurance la mise en place d’outils et de procédures internes de nature à garantir la qualité des données.
Par ailleurs, d’un point de vue marketing, la fiabilisation et l’enrichissement des données clients, même de base (coordonnées, nom / prénoms), pourraient permettre de renforcer l’efficacité des campagnes commerciales.
En allant au-delà, les assureurs pourraient aboutir à une segmentation plus fine de leurs assurés, qui leur permettrait de proposer des offres plus personnalisées, ou encore à une meilleure lutte contre la fraude.
Si les assureurs ont répondu en urgence à la problématique de la déshérence, ceux-ci ont désormais l’occasion de transformer la contrainte en opportunité. À travers une démarche préventive, ceux-ci ont effet l’occasion d’amorcer un chantier d’amélioration de leur données clients qui pourrait impacter positivement leurs sociétés dans leur ensemble. Une base client fiabilisée est un gage d’optimisation de la relation client, évite la déshérence commerciale et permet d’optimiser les campagnes marketing.