Financement de la retraite complémentaire AGIRC ARRCO : Un accord inattendu mais contesté entre (presque tous) les partenaires sociaux
Il était urgent de prendre des mesures pour sauver les régimes de retraite complémentaire AGIRC ARRCO, dont les déficits, aggravés par une conjoncture économique défavorable, menacent la pérennité de leur modèle. Les négociations lancées en janvier 2015 entre les Partenaires sociaux semblaient dans l’ornière. Elles ont finalement abouti, au terme de leur 7ème session le 30 octobre dernier, à un accord signé par les Organisations patronales et la CFDT/CGC/CFTC ; ces organisations représentant plus de 50% des syndicats de salariés, cet accord est donc validé, bien que la FO et la CGT ne l’aient pas ratifié.
Des mesures temporaires jusqu’en 2019, d’autres définitives ensuite
Parmi les leviers disponibles pour rééquilibrer les comptes des régimes de retraite complémentaire, c’est principalement celui de la durée de la période de cotisation qui est actionné dans l’accord du 30 octobre dernier. Présentée comme innovante par les signataires de cet accord, et contestée par la CGT et Force Ouvrière, la mesure phare principale de cet accord est en effet l’instauration, à partir de 2019, d’un bonus-malus sur le montant des retraites complémentaires, autrement nommé « coefficient de solidarité », et dépendant de l’âge de départ à la retraite du salarié.
Mais les futurs retraités ne sont pas les seuls contributeurs au renflouement des caisses AGIRC ARRCO : jusqu’en 2019, les retraités actuels verront le montant de leurs pensions de facto diminuer et les salariés devront acheter leurs points de retraite plus cher (les montants des cotisations sont convertis en points). Les cotisations patronales augmenteront quant à elles, bien que légèrement.
Quelles mesures phares prévoit cet accord ?
Entre 2016 et 2019 :
Les dispositions suivantes seront appliquées au montant des pensions de retraite :
- Une indexation égale au taux d’inflation moins 1 %, avec un plancher empêchant une diminution du montant des pensions en valeur absolue ;
- Une revalorisation décalée au 1er novembre à la place du 1er avril ;
- L’augmentation de la valeur d’achat du point de retraite.
A partir du 1er janvier 2019 :
- L’une des deux cotisations patronales sera revalorisée.
- Le régime sera unifié : il n’y aura alors plus de distinction entre les statuts « salarié » et « cadre ».
- Un coefficient de solidarité sera appliqué sous forme d’un bonus-malus conditionnant le montant de la pension de retraite complémentaire que percevra un salarié à la date qu’il choisira pour faire valoir ses droits à la retraite.
Un salarié de 62 ans et ayant cotisé au régime général pendant 41,5 ans (166 trimestres, durée qui pourrait être révisée à la hausse dans le futur), aura ainsi le choix entre :
- Partir à la retraite immédiatement. Il percevra alors une retraite du régime général (retraite « de la Sécurité sociale ») à taux plein, et une retraite complémentaire décotée de 10 % pendant 3 ans, et à taux plein ensuite. La décote sera de 5 % pour les retraités dont le revenu fiscal de référence trop faible entraîne une CSG sur leur pension à taux réduit, et nulle pour ceux qui seraient exonérés de cette même CSG ;
- Partir à la retraite à l’âge de 63 ans. Il percevra une retraite du régime général et une retraite complémentaire à taux pleins ;
- Partir à la retraite après 63 ans. Il bénéficiera alors d’une retraite du régime général à taux plein, et d’une retraite complémentaire majorée de 10 % par année supplémentaire travaillée depuis ses 63 ans, pendant un an (soit 10 %, 20 % ou 30 %, l’âge maximum de départ à la retraite ne pouvant excéder 67 ans).
Des efforts déséquilibrés ?
Globalement, les Organisations patronales sortent gagnantes de ces négociations paritaires. Elles s’y sont montrées plus habiles et plus déterminées que les Syndicats de salariés, et fins stratèges dans la dernière ligne droite des négociations, qui s’est sans doute jouée derrière le rideau.
C’est en effet le modèle de financement des retraites qu’elles défendent qui a été sélectionné : une retraite complémentaire non plus à prestations définies, mais à cotisations définies, et au choix des salariés. Ce modèle est moins solidaire, sa dimension de mutualisation moins importante, ce qui devrait profiter à la retraite par capitalisation (supplémentaire). Les taux de décote pourront évoluer dans le futur. C’est donc bien d’un outil de régulation du montant des retraites et de la durée de cotisation que s’est doté le Patronat.
Par ailleurs, les efforts reposent en grande partie sur les salariés et les retraités, actuels et futurs. La seule contribution des employeurs au redressement des comptes des Retraites complémentaires est une augmentation de l’une des cotisations patronales, échangée contre une diminution équivalente de ses cotisations à la branche Accident du Travail – Maladies Professionnelles (AT-MP) de la Sécurité Sociale.
Quels impacts et quels risques ?
Il est clair qu’à son tour, le régime général des retraites pourrait adopter ce modèle de modulation des pensions à la carte : dès lors que le principe est vendu et accepté comme équitable pour les retraites complémentaires, pourquoi ne le serait-il pas pour la retraite de base, et pour celles de la fonction publique ?
Or ce principe comporte plusieurs risques :
L’un des risques majeurs est celui de la mise en place de critères injustes d’éligibilité au taux d’abattement (décote) de 5 % ou, mieux, 0 % en fonction de la situation familiale. Le revenu fiscal de référence étant celui du couple, l’éligibilité de l’un des conjoints pourrait être perdue par la somme des revenus du couple ;
Actuellement, plus de la moitié des salariés ne sont plus en activité lorsqu’ils parviennent à l’âge de la retraite. Pour une personne au chômage indemnisé à l’âge de 62 ans, faire le choix de faire valoir ses droits à la retraite à 63 ans reviendra à faire financer une partie de sa pension par l’assurance-chômage. C’est moralement discutable et complexe : ce financement est-il injuste vis-à-vis des actifs ayant opté pour le bonus ? Ces actifs ne doivent-ils pas, au contraire, se montrer solidaires et faire profiter à la collectivité de leur chance de pouvoir travailler plus longtemps que les inactifs ? Ces débats ne font que commencer.
En raison d’interruptions de carrière plus nombreuses, les femmes perçoivent des pensions de retraite moins élevées que les hommes. Conditionner le montant des pensions à la durée de la période de cotisation aggrave de facto cette injustice.
Enfin, la réunification des deux caisses de retraite complémentaire pourrait entraîner la fin du statut de cadre. L’encadrement de la disparition du statut n’est pas défini.
La majorité (seulement) des partenaires sociaux est certes parvenue à un accord qui sauve le régime de retraite complémentaire – puisqu’il était réputé en danger. Mais il peut être perçu comme violent aux salariés dont il aggraverait la fragilité s’il ne leur offre pas plus de garanties in fine. D’autant plus qu’il brise le tabou du tout mutualisé hérité des valeurs égalitaristes de l’après Seconde Guerre Mondiale dans le système de retraite par répartition, et créé un précédent : une fois ce tabou levé, il y a peu de chance que l’ancien modèle soit restauré, même en cas de redressement économique favorable aux comptes des retraites.