« La maison brule, mais nous regardons ailleurs » Qu’en est-il des assureurs ?
Depuis les années 70, nous assistons à une montée en puissance des préoccupations environnementales dans les réflexions économiques et politiques au niveau mondial. La crainte que la dégradation de l’environnement devienne irréversible et puisse l’emporter sur les bénéfices induits par les avancées économiques et technologiques était déjà très largement développée dans « The Limits to Growth », le rapport publié en 1972, suite à l’organisation du Club de Rome.
Pour les entreprises, en revanche, la prise de conscience a eu lieu plus tardivement, dans les années 2000, avec la mesure progressive des impacts du changement climatique sur leurs activités économiques et leurs bénéfices.
Même si, à premier abord, le secteur de l’assurance ne semble pas être impacté directement par les préoccupations liées au développement durable, contrairement aux secteurs polluants ou consommateurs de ressources (énergie, automobile, transports, agriculture…), son positionnement central dans le développement économique, à travers la protection des ménages et des entreprises contre les aléas de la vie, en fait un acteur incontournable dans la lutte contre le réchauffement climatique.
En effet, la mission de l’assurance s’inscrit dans la durée, à travers l’évaluation, l’anticipation et la gestion des risques et des actifs sur le long terme. De ce fait, ces enjeux ont déjà des incidences sur la manière dont le métier s’exerce et font partie intégrante des stratégies de croissance et d’évolution du secteur.
Une prise en compte croissante des enjeux du développement durable par le secteur de l’assurance en France…
La réflexion sur le « développement durable » dans le secteur de l’assurance en France se concrétise dès 2007, avec la création de l’AFA (Association Française de l’Assurance) et l’élaboration, en 2009, d’une charte destinée à ouvrir la voie à la construction d’une réponse commune et concrète aux enjeux du développement durable. Cette charte se structure autour de 5 axes :
En tant qu’organisme de référence du secteur de l’assurance, l’AFA est un acteur incontournable des événements majeurs promouvant le développement durable et évalue régulièrement la capacité des assureurs à répondre aux enjeux environnementaux et sociétaux grâce à des indicateurs sectoriels.
…confortée par les récentes évolutions survenues sur le marché
La prise en considération concrète des enjeux liés au développement durable par les assureurs fait suite aux récents changements survenus au sein du secteur. Le marché de l’assurance subit de plein fouet la pression réglementaire, combinée à celle des consommateurs, de plus en plus exigeants et attentifs aux enjeux environnementaux.
L’adaptation réussie à ces nouvelles contraintes rend obligatoire l’intégration des enjeux environnementaux dans les stratégies des assureurs. De ce fait, ces derniers voient leurs rôles, en tant que gestionnaires des risques et en tant qu’investisseurs institutionnels, prendre davantage d’importance :
– En tant que gestionnaires de risques, les assureurs sont les principaux acteurs de l’identification et de la mise en place de mécanismes de prévention. Ils sont en devoir de proposer des offres innovantes à leurs clients, plus incitatives pour les activités ayant un faible impact sur l’environnement.
– En tant qu’investisseurs institutionnels, ils participent au financement des infrastructures et au développement de l’économie verte, en soutenant les activités en ligne avec la transition énergétique. Les dernières générations d’instruments financiers (ISR, Green bonds…) étant malheureusement insuffisantes pour contrer et limiter les impacts du changement climatique, d’autres mécanismes doivent être mis en place afin d’accroitre la contribution des assureurs. Selon une étude publiée en 2013 par le World Economic Forum, le financement de la transition énergétique devrait avoisiner les 1000 Md$ par an, si l’on prend en compte l’objectif de limiter à 2°C le réchauffement climatique.
Le « développement durable », un atout plus qu’une contrainte pour les assureurs
Si l’intégration des enjeux environnementaux dans les stratégies de croissance des assureurs découle, dans un premier temps, de contraintes économiques, elle ouvre également la voie à nombreuses opportunités.
En effet, nous assistons actuellement à l’émergence de nouvelles générations de produits d’assurances « vertes », qui prennent davantage en compte la dimension environnementale. À titre d’exemple, au travers de son « Pack Green », AXA propose aux entreprises un service de couverture des risques environnementaux (couverture contre le risque de pollution générée ou subie, décontamination, nuisances…). Avec son offre « Capital Nature », Allianz propose une garantie responsabilité civile permettant de couvrir, en complément, les dommages liés aux atteintes environnementales (frais de dépollution, nuisances…).
De nombreuses nouvelles offres se focalisent sur les problématiques soulevées par les aléas climatiques, notamment dans le secteur de l’agriculture et de l’élevage. À titre d’exemple, l’assurance Multirisque Climatique sur récoltes de Groupama, CLIMATS, propose une couverture pour les agriculteurs en cas de mauvaises récoltes. La nouvelle « assurance des prairies », proposée par Pacifica, filiale de Crédit Agricole Assurances, permet de couvrir les éleveurs français en périodes de sécheresse ou d’inondations par exemple.
Enfin, l’« éco-responsabilité » est un nouveau concept qui intéresse les assureurs. Ils sont nombreux à proposer des produits d’assurance incitant au développement d’activités « vertes » et à la conduite responsable. Allianz et Amaguiz proposent, par exemple, des assurances favorisant les installations utilisant les énergies renouvelables, à des tarifs très intéressants. Direct Assurance offre, quant à elle, des réductions tarifaires aux conducteurs responsables, par l’intermédiaire d’ »YouDrive », son assurance connectée.
D’autre part, la prise en compte du développement durable est également un moyen pour les assureurs de maitriser leurs coûts, en mesurant de manière plus précise les risques et en mettant en place des mécanismes de prévention plus adaptés.
Dans ce contexte, de plus en plus d’assureurs proposent des systèmes d’alertes à leurs clients en cas de risques climatiques (tempêtes, inondations). Par exemple, l’application, « Aviva risques météo » d’Aviva France, permet de recevoir des alertes sur les risques météorologiques. Allianz France, Covea et Groupama se sont également lancées dans ce domaine, proposant des alertes par sms à leurs clients.
L’intégration des enjeux environnementaux permet également aux assureurs d’améliorer leur image, longtemps associée à la complexité des offres et à l’argent.
Dans un premier temps, cette amélioration passe par la concrétisation de leurs engagements en matière de lutte contre les changements climatiques (intégration d’indicateurs ESG dans les rapports annuels, offres de produits et services d’assurance « verts »…). Dans un second temps, ils se positionnement comme des acteurs proactifs, en incitant leurs clients à des comportements plus responsables (opérations marketing axées sur le développement durable, bonus offerts aux clients ayant une conduite responsable…).
Ces exemples de nouvelles offres, en parallèle des nombreuses actions initiées par les acteurs du secteur dernièrement (tenue d’une conférence sur la prévention des catastrophes et des risques naturels par l’ONU à Sendai (Japon) du 14 au 18 mars 2015, organisation de la « Semaine pour le climat » à Paris du 17 au 22 mai 2015…), permettent non seulement d’apporter une première réponse aux nouvelles contraintes du marché, mais se présentent également comme des opportunités de croissance durable pour les assureurs.
Toutefois, malgré ces initiatives positives, la réponse du secteur en termes de développement durable reste pour le moment limitée et ponctuelle. Pour pouvoir faire face au changement climatique et dompter les différents enjeux de manière efficace, il est nécessaire de mettre en place un cadre d’actions commun, au niveau international, permettant une réponse coordonnée de l’ensemble des parties prenantes. C’est dans ce contexte que devra s’inscrire la COP21, en apportant une réponse politique commune et internationale au changement climatique, pour la première fois en plus de 20 ans de négociations sous l’égide des Nations Unies.