La COP 21 a démarré depuis dimanche dernier; les Etats participants cherchent des solutions à l’augmentation de la température moyenne du globe. La question environnementale est la problématique centrale du XXIème siècle, après des années de minimisation des effets sur notre économie et de résolutions non appliquées faute de consensus…l’occasion de proposer ce dossier consacré à la Responsabilité Environnementale et publié en plusieurs articles.

Le premier article du dossier s’attachait à décrire comment le concept de responsabilité environnementale a pu faire son chemin, depuis les groupes de réflexions, jusqu’à son intégration dans le Droit international, européen et français.

Cet article et le suivant sont dédiés à l’application du principe de pollueur-payeur : le pollueur doit payer, oui mais selon quelle approche ? Pourra-t-il souscrire à une assurance lui permettant de couvrir les frais de prévention ou de réparation des dommages environnementaux ? Voici quelques éléments de réponse…

Application du principe Pollueur-payeur : première approche

La monétarisation complexe des externalités

La première approche consiste à pénaliser financièrement les agents économiques produisant des externalités négatives sur l’environnement.

Cette conception repose donc entièrement sur la valorisation de l’externalité, ce qui, nous le verrons, constitue une tâche ardue. Une fois le coût de l’externalité intégré dans les coûts de production, l’agent économique devrait être incité à baisser ce coût en appliquant des mesures de prévention afin d’augmenter sa marge opérationnelle.

Une question éthique se pose cependant, pour les grands acteurs industriels notamment : si le pollueur paie, cela lui donne-t-il le droit de polluer ? C’est une des raisons pour lesquelles le principe de pollueur-payeur n’a pu être intégré à la constitution dans le Droit français.

 

L’exemple de la monétarisation des émissions de CO2

Les émissions de CO2 contribuent au réchauffement climatique. Leur limitation est cruciale. Depuis les années 2000, deux outils visant à monétariser les émissions de CO2 se complètent.

  • La taxe carbone fixe un prix déterminé à des quantités libres d’émission de tonne de CO2,
  • Les quotas fixent les quantités d’émission mais le prix de la tonne de CO2 est variable.

 

La taxe carbone

La taxe carbone est appliquée aux produits de consommation ou à la production/importation d’énergies fossiles. Le montant dépend de la quantité de GES émis lors de l’utilisation ou du processus de production/importation. D’un point de vue consommateur, c’est ce que l’on retrouve lors de l’achat d’une voiture sous le nom de « bonus-malus ». Chaque pays peut fixer le montant de la taxe correspondant à la tonne de CO2 émise. Par exemple, la Suisse impose depuis 2008 un coût de 8 € par tonne de CO2 émise, la Suède l’a fixé à 27 € depuis 1991. Elle devrait être à 100 € à l’horizon 2030 en France selon les spécialistes.

Simple dans son principe général, cette monétarisation de la tonne de CO2 se heurte à deux problèmes majeurs ralentissant sa mise en œuvre généralisée :

  • Attribuer la bonne valeur d’équivalence en émission carbone :
    • Si un pays A taxe les émissions directes dues à la combustion de charbon, mais pas l’électricité ou l’acier produit à partir du charbon, ce sera inefficace. Le producteur d’acier ou d’électricité choisira simplement de s’implanter dans un pays B où la taxe sur le charbon est inexistante, le problème est déplacé mais les émissions ne seront pas réduites. La taxe doit donc s’appliquer aux combustibles et à tous les produits de l’économie utilisant ces combustibles dans leur chaîne de production. La difficulté est d’attribuer la bonne valeur d’équivalence en émission carbone de chaque produit, qu’il émette directement ou indirectement des GES.
    • Plus concrètement, quelle est par exemple la quantité équivalente en CO2 émise pour produire un yaourt ? Plusieurs sources d’émission sont à déterminer. Premièrement, le plastique de l’emballage peut provenir de la transformation de pétrole (quelle part ? quelle équivalence en CO2 ?). Par ailleurs, le lait utilisé est issu de l’élevage bovin, secteur fortement émetteur de GES. Même en simplifiant la chaîne au maximum, il reste à déterminer l’équivalent d’émission CO2 dû au conditionnement du yaourt (machines utilisant de l’électricité…) et du transport logistique vers les différents points de vente. On comprend là toute la complexité de quantifier avec certitude tous les paramètres.
  • La taxe carbone n’est pas la même partout :
    • La taxe carbone n’est pas uniformisée au niveau de l’Union Européenne, encore moins au niveau mondial. Chaque pays ayant ses propres règles de calcul, la taxe carbone peut affecter la compétitivité des entreprises nationales. En effet, une entreprise A taxée dans son pays se retrouvera désavantagée par rapport à une entreprise étrangère B localisée dans un pays où la taxe carbone est plus conciliante.
    • Deux moyens de rééquilibrer la concurrence consisterait soit en l’instauration de mesures douanières spécifiques, soit d’uniformiser sur de vastes zones géographiques les caractéristiques de la taxe.

 

Le marché des quotas d’émission

En complément de la taxe carbone, cette méthode fixe des quotas d’émission par an pour chaque secteur de l’économie. Contrairement à la taxe carbone, c’est le prix de la tonne équivalent carbone émise qui va varier selon les lois du marché.

Prenons l’exemple du marché européen d’échange des droits d’émission (EU ETS). Celui-ci est divisé en trois phases, la phase pilote de 2005 à 2007, la phase d’apprentissage de 2008 à 2012 (engagement du protocole de Kyoto), et la phase de renforcement de 2013 à 2020. Le principe est le suivant :

  • Un quota de permis d’émission est fixé pour l’ensemble des acteurs du marché EU ETS (installations énergétiques, grandes industries…). Ces permis sont distribués aux entreprises.
  • Si un acteur réussit à réduire ses émissions et à se situer en dessous de son quota d’émission, il peut revendre sur le marché d’échange son « excédent-carbone ».
  • Lorsque la réduction des émissions coûte plus cher que le prix du marché de la tonne CO2, l’acteur en dépassement de son quota peut acheter des droits supplémentaires d’émission auprès des entreprises les moins polluantes.

Lors de la première phase, le bilan a été assez décevant. Le prix du droit d’émission d’une tonne de CO2 passant d’environ 25 € à quasiment 0€ en 2007. Les quotas étaient en effet excédentaires par rapport à la demande. Cet effet a été accentué par l’impossibilité de reporter ces quotas sur la phase suivante.

effondrement du prix de la tCO2 lors de la phase 1

Figure 1 : Effondrement du prix de la tCO2 lors de la phase 1 de l’EU ETS

Les problématiques de sur-allocations de quotas se poursuivent aujourd’hui encore (en 2013, la tonne de CO2 s’échangeait à 3 €, autour de 10-15 € aujourd’hui) et s’ajoutent aux multiples dysfonctionnements de l’EU ETS (superposition avec d’autres politiques communautaires, effet pervers des mécanismes de compensation « Mécanisme de Développement Propre »…). Les prix volatils et en baisse favorisent l’achat de permis d’émission, donc de « permis de polluer » en lieu et place du financement de la réduction des émissions.

Cela illustre parfaitement le fait que la monétarisation des émissions carbone est un domaine extrêmement complexe ; les institutions européennes cherchent des moyens de renforcer le marché d’échange et inciter efficacement les acteurs économiques à la réduction de leurs émissions.

 

D’autres valorisations en cours de réflexion

D’autres réflexions économiques et scientifiques tentent de chiffrer précisément certains effets externes engendrés par une activité ou par un projet de grande ampleur comme les infrastructures routières, les barrages ou les centrales nucléaires.

Dans le cadre de l’évaluation socio-économique des projets publics, les modèles classiques utilisés actuellement ne prennent pas ou peu en compte les effets externes et donc les enjeux environnementaux. Un rapport du SETRA de 2010 explique que le seul effet externe ayant un impact significatif sur l’évaluation d’un projet d’autoroute est la valeur du gain de temps pour les usagers (90% du poids). L’amélioration de la qualité de l’air ne comptant que pour 2% , l’émission des GES pour 2,5%… les scénarios de projet choisis après évaluation par l’Etat ou la Région ne représentent donc pas forcément l’optimum économique.

Parmi les travaux scientifiques de référence, le rapport Boiteux cité dans l’article précédent tente de ce fait de fixer des valeurs tutélaires pour chaque externalité afin de les internaliser dans le bilan socio-économique des projets. Le rapport concerne notamment :

  • La valorisation du bruit, en zone urbaine principalement,
  • La valorisation des effets irréversibles affectant les ressources non renouvelables ;
  • L’évaluation de la pollution de l’air.

Cependant, ce rapport ne concerne que les valeurs tutélaires appliquées en France. Il n’y a pas de consensus aujourd’hui au niveau supranational, même si une étude de 2006 commandée par l’Union Européenne (projet HEATCO) allait dans ce sens et tentait d’harmoniser les méthodes de valorisation à horizon 2020.

Un point positif tout de même, les pratiques d’évaluation changent petit à petit. Par exemple, le taux d’actualisation employé dans l’évaluation des projets publics diminue progressivement (8% en 2004, environ 2% aujourd’hui pour les projets à durée de vie très élevée). Cette baisse du taux d’actualisation traduit entre autres la prise en compte de la responsabilité environnementale des acteurs économique : l’incertitude sur la croissance soutenable des années futures est forte. Des paramètres tels que le risque de raréfaction des ressources non renouvelables ou la dégradation de l’environnement entraînant une crise économique généralisée viennent donc tempérer la croissance auparavant admise dans les évaluations de projet.

Beaucoup de chemin reste encore à parcourir, tant sur le plan de l’harmonisation des méthodes d’évaluation que sur le plan de l’importance à accorder aux effets externes. Les projets changent d’échelle, s’internationalisent de plus en plus. Il est donc nécessaire d’appliquer des règles d’évaluation  communes et d’attribuer un poids plus conséquent aux impacts environnementaux valorisés et internalisés.

Nous observons, grâce à l’exemple du marché d’échange des émissions de CO2 et à celui des évaluations socio-économiques des grands projets d’infrastructure, que la monétarisation des dommages environnementaux comprend de nombreux écueils. C’est pourquoi nous verrons dans le prochain article que la Loi Responsabilité Environnementale privilégie la seconde approche : raisonner « en nature » plutôt qu’en dédommagement financier.