Généralisation de la complémentaire santé : assurés, assureurs, employeurs…qui y gagne vraiment ?
La loi dite de « sécurisation de l’emploi », adoptée en juin 2013, prévoit une généralisation de la complémentaire santé au 1er janvier 2016. Le compte à rebours est lancé. Les entreprises n’ont plus que trois mois pour se mettre en conformité avec la loi. Cette mesure, qui est sensée favoriser l’accès aux soins, est présentée par le gouvernement et les partenaires sociaux comme une véritable avancée sociale. Mais qu’en est-il réellement ?
La loi en quelques mots
Votée le 16 juin 2013, la loi relative à la sécurisation de l’emploi impose à toutes les entreprises de faire bénéficier leurs salariés d’une assurance complémentaire santé financée à hauteur de 50% minimum. Mutuelles et prévoyance d’entreprise seront donc obligatoires à compter du 1er janvier 2016. Rappelons que cette loi fait suite à la demande, de la part des partenaires sociaux, d’une contrepartie à l’assouplissement du contrat de travail prévu par l’Accord National Interprofessionnel (ANI) de janvier 2013.
Pour garantir sa mise en application, le décret n° 2014-1025 du 8 septembre 2014 définit un « panier de soins » minimum. Il fixe ainsi un certain nombre de garanties de base que doit fournir l’entreprise aux salariés, comme la prise en charge, partielle ou totale, du ticket modérateur (partie des dépenses de santé qui reste à votre charge après le remboursement de l’Assurance Maladie), du forfait journalier hospitalier sans limitation de durée, des frais dentaires et d’un forfait optique variable selon le type d’équipement.
Pourquoi cette loi ? Les professionnels de l’assurance estiment à 4 millions le nombre de salariés ne bénéficiant pas, à ce jour, d’une complémentaire santé collective. On les retrouve essentiellement dans les TPE et PME. Toutefois, 90% d’entre eux disposaient déjà d’une complémentaire individuelle selon Etienne Canard, président de la Mutualité française. Face à ce constat, peut-on réellement parler d’une amélioration de la couverture santé pour les salariés ?
Une loi en faveur des salariés ?
Les effets de la loi sur la protection des salariés sont ambivalents. En effet, si elle peut être bénéfique pour les salariés dont les faibles revenus ne permettent pas une couverture santé minimale, elle n’est pas forcément favorable aux autres, le niveau de garantie imposé par décret étant bien souvent inférieur à celui qui était proposé jusqu’ici par les entreprises.
La généralisation de la complémentaire santé s’apparente en effet à un coût supplémentaire pour certains dirigeants d’entreprise, notamment ceux des TPE et PME. Les dirigeants, ayant une pleine liberté de choix, pourraient se tourner vers les contrats comprenant uniquement les garanties de base afin de limiter la facture, conduisant pour certains salariés à une baisse des garanties dont ils bénéficiaient via un contrat individuel.
Par ailleurs, les dirigeants des sociétés déjà équipées pourraient tirer profit de cette réforme pour diminuer le coût des complémentaires qu’ils proposent, en limitant les couvertures associées au simple minimum requis, invitant alors les salariés à se doter de « surcomplémentaires » pour retrouver un niveau de couverture similaire à leur contrat actuel, et donc payer plus cher pour le même niveau de couverture santé. La facture pourrait ainsi s’alourdir pour le salarié. Ces changements promettent-ils pour autant une aubaine de capter de nouveaux clients pour les assureurs ?
Une opportunité pour les assureurs ?
La loi redéfinit les règles du jeu du marché de la complémentaire santé. À première vue, elle pourrait s’apparenter à une aubaine pour les assureurs, une opportunité de conquérir un nouveau marché, celui des 4 millions de salariés ne bénéficiant pas à ce jour d’un contrat collectif. Il convient pourtant de nuancer cette idée. En effet, 90% des salariés non couverts à ce jour par leur entreprise disposent déjà d’une complémentaire individuelle. L’enjeu est donc de gérer le passage de contrats individuels en contrats collectifs souvent moins rentables. Les rapports de force s’inversent avec le passage d’un contrat individuel en contrat collectif. Ainsi, le poids de l’assureur diminue, sa latitude pour fixer le prix est moindre. Les assureurs pourraient donc voir leurs marges diminuer.
De plus, l’intensité concurrentielle pousse les assureurs à se différencier en misant sur des prix attractifs, quitte à rogner leurs marges : une stratégie de conquête du marché de la collective par les prix qui laisse entrevoir un phénomène de dumping chez certains assureurs. Beaucoup font donc le pari suivant : capter un nombre important de nouveaux clients en présentant une offre économiquement attractive aux dirigeants, en espérant gonfler leurs marges via la commercialisation de surcomplémentaires aux salariés.
Enfin, cette nouveauté réglementaire préfigure plus largement une transformation du marché de l’assurance. Certains, très présents sur l’individuel vont devoir revoir leur positionnement. C’est le cas des mutuelles, dont 73% des contrats sont aujourd’hui individuels. Elles seront donc amenées à repenser leur offre pour ne pas rater ce tournant imposé par la loi.
Ainsi, même si la généralisation de la complémentaire santé permettra d’élargir la population couverte, elle pourrait dans les faits s’accompagner d’une baisse des garanties, voire d’une augmentation de la facture pour un niveau de couverture inchangé. Le législateur ne compte pas pour autant s’arrêter en si bon chemin. D’autres mesures sur cette thématique devraient suivre, puisque François Hollande a annoncé en juin dernier que la généralisation des complémentaires santé serait étendue aux retraités d’ici à 2017.