Après la polémique créée par la généralisation du tiers-payant, prévue dans le projet de loi de santé en cours de débat, c’est une nouvelle initiative qui génère l’opposition des médecins libéraux : vendredi 11 septembre, les députés ont adopté l’article 47 du projet de loi de santé, qui prévoit de faciliter l’accès aux données médicales issues des divers organismes du secteur, par la création d’une grande base de données centralisée accessible au public. Entre adaptation à l’ère du numérique et protection des patients, cette nouvelle disposition fait débat.

 

La donnée, clé d’un système de santé plus performant ?

mgaphone : loi TouraineAprès plus d’1h30 de débat et 127 amendements, l’article 47 concernant l’ouverture des données de santé au public a finalement été adopté : il s’agit d’une des dispositions les plus structurantes de la réforme portée par la ministre de la santé Marisol Touraine.

En effet, cette mesure phare prévoit la création d’une grande base de données médicales déjà existantes, regroupant notamment les informations détenues par l’Assurance Maladie. Le Système National des Données de Santé (SNDS) ainsi créé aura vocation à centraliser les diverses informations issues des établissements publics et privés du monde de la santé. Seront notamment regroupés les actes hospitaliers, prescriptions de médicaments et feuilles de soin, des informations détenues par les assureurs, des données médico-sociales, ainsi que des données statistiques relatives aux causes de décès ou encore au remboursement des bénéficiaires par les mutuelles. stethoscope on laptop

Par la centralisation et l’ouverture de ces données, le gouvernement entend ainsi faciliter la compréhension des mécanismes et lacunes de notre système de santé, grâce aux différentes études qui pourront être menées en s’appuyant sur ces informations. Elles pourront également permettre l’étude des problématiques de santé propres à un territoire, prévenir les risques sanitaires ou encore suivre l’efficacité sur le long terme d’un nouveau produit pharmaceutique lancé sur le marché.

Une mine d’or pour les acteurs de la santé

Le champ des possibles ouvert par une telle mine d’informations a de quoi intéresser les acteurs du monde de la santé, publics comme privés. Une conséquence qui inquiète les professions médicales : le Syndicat des Médecins Libéraux a immédiatement demandé le retrait de cet article et appelé à l’instauration d’un débat public sur le sujet, face au risque de telles pratiques sur le secret médical et la protection des patients. Outre les problèmes de sécurité posés par le transfert de cette multitude de données confidentielles au sein d’un système d’information unique, c’est l’usage qui pourrait en être fait qui alarme la profession.

fingerprint and data protection on digital screenCe sont notamment les assureurs qui sont visés par cette mise en garde, la donnée étant au cœur de leur business model. Le SML craint en effet qu’ils ne s’emparent des données médicales récoltées par le SNDS, quitte à les racheter, comme c’est le cas aux Etats-Uns : « aux Etats-Unis, un dossier peut se revendre 600$ », indique le syndicat. D’autant plus que les données n’ont pas réellement vocation à être anonymisées mais « pseudonymisées », comme l’indique Sophie Bauer, une des porte-paroles du SML, qui dénonce le risque de ré-identification des patients, frein majeur à la préservation du secret médical.

 

Un open data finalement plutôt fermé  

Pourtant, malgré la polémique, l’heure n’est pas véritablement à la mise en place d’un véritable support Open data. En effet, de nombreuses dispositions viennent limiter cette ouverture au public. Outre la publication d’informations ne présentant aucun risque d’identification des patients, tout accès à des données à caractère personnel devra au préalable faire l’objet d’une autorisation par une commission spéciale et par la Cnil, qui devront vérifier que la démarche est notamment justifiée par un « motif d’intérêt public ». Les organismes d’assurance n’auront donc qu’un accès limité à cette base d’information.

Par ailleurs, l’article interdit formellement l’utilisation du SNDS  «à des fins de prospection commerciale», ou comme fondement au recalcul des primes ou à l’évolution des contrats d’assurance.

 

Mise en place pour tirer le meilleur de l’accès à la donnée, la polémique créée par cette mesure est un nouvel exemple de la Grande peur du numérique. Elle est d’autant plus mise en cause qu’elle touche le domaine de la santé, où l’information revêt un caractère particulièrement confidentiel. Pourtant, si le flou persiste sur les risques à long terme des nouvelles pratiques permises par le numérique, force est de reconnaître que la protection de la vie privée reste un critère indispensable du législateur lors de réformes. Sans accepter naïvement toute évolution dans le domaine de la data sous couvert des bienfaits de l’évolution technologique, il convient néanmoins de ne pas diaboliser un système qui génère des craintes parce  qu’inconnu.