Les géants du Web et l’assurance : arrivée imminente ou menace fantôme ?
Après avoir révolutionné la navigation sur Internet, le commerce et même la façon dont nous interagissons, les champions de la Silicon Valley ambitionnent aujourd’hui de s’attaquer au secteur de l’assurance. Alors que plus d’un quart des consommateurs affirme envisager de se tourner vers Google ou Amazon pour s’assurer, quelles sont véritables ambitions de ces entreprises ?
Un marché propice à l’arrivée de nouveaux acteurs
Le marché de l’assurance connaît aujourd’hui des transformations profondes, créant ainsi des conditions favorables à l’entrée de nouveaux acteurs. La première d’entre elles concerne les consommateurs, dont les attentes sont de plus en plus fortes, notamment à propos de la facilité de souscription, de gestion et de résiliation. Ainsi, une étude du cabinet Celent montre que seulement 10% des consommateurs américains choisissent leurs produits financiers en fonction de leur performance. La majorité préfère tenir compte de la facilité d’utilisation. Plus important, les assureurs ne répondent pas aujourd’hui à ces attentes : une étude menée par Accenture montre que seulement 29% des consommateurs sont satisfaits de leurs assureurs au niveau mondial.
La seconde transformation qui secoue le monde de l’assurance, c’est l’importance croissante qu’acquiert la donnée. Grâce au développement d’Internet, des objets connectés et des usages nomades, les habitudes de consommation des assurés sont aujourd’hui de plus en plus quantifiables et disponibles. En échange de ce partage, les consommateurs s’attendent à des services plus pertinents et, surtout, moins chers.
Ces deux transformations correspondent aux points forts des géants du web. Ainsi, Facebook s’est progressivement imposé grâce à une disponibilité et une ergonomie impressionnantes, précurseur des usages digitaux. Google, quant à lui, s’est démarqué grâce à son moteur de recherche dont la force a été de créer de la valeur en hiérarchisant la masse énorme d’information que représente l’ensemble du contenu présent sur Internet. Ainsi, ces transformations en cours et leur adéquation avec les savoir-faire des géants digitaux nous poussent à penser que leur entrée sur le marché de l’assurance est imminente.
Des initiatives aujourd’hui timides mais prometteuses…
Les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) sont déjà aujourd’hui incontournables dans la souscription à des produits d’assurance. Ainsi, dans son baromètre 2015, Google annonce que 62% des Français comparent sur Internet avant de souscrire à un nouveau contrat. Mais ces géants du web ont plus d’ambition que de rester de simples passages obligés dans la recherche d’information.
Ainsi, Google a lancé en 2015 Google Compare qui propose, aux consommateurs américains, de comparer l’offre des assureurs automobiles dans leurs États. Le résultat est au rendez-vous puisque, selon Stephanie Cuthbertson, responsable de ce nouveau service, des millions d’internautes l’ont déjà utilisé et que « 50% des recherches ont abouti à des tarifs inférieurs au contrat actuel » de l’assuré. Ses fonctionnalités et sa disponibilité sont aujourd’hui assez limitées, mais son développement se veut ambitieux : cette année le service sera étendu à trois nouveaux États et, surtout, un système de notation et de commentaire des différents assureurs sera proposé.
Amazon, le second membre des GAFA, ne s’est pas encore positionné clairement sur la distribution des services. Des tests sont en cours, par exemple afin d’aider les utilisateurs à trouver des artisans autour d’eux grâce à Amazon Home Service. Mais dans le secteur de l’assurance, le géant du commerce en ligne n’a pas encore réalisé de grands mouvements. Pour autant, il n’apparait pas sourd à ce marché potentiel : il a signé avec Allianz un partenariat afin de proposer un service de remplacement de gré-à-gré après un sinistre. Un premier pas en attendant le grand saut ?
Facebook, le géant du web le plus proche de la connaissance client de ces quatre mastodontes, est déjà un laboratoire géant pour les assureurs. Ainsi, chacun essaie de profiter de cette proximité nouvelle avec le client pour mieux connaître ses assurés, mieux les servir et ainsi améliorer sa position sur le marché. Pour l’entreprise de Mark Zuckerberg, l’intérêt semble aujourd’hui résider dans le renforcement de l’importance de son réseau social : plus il y aura de marques et de services présents sur le site, plus les internautes seront nombreux et inversement. Néanmoins, on peut également s’attendre à une monétisation de ce modèle, notamment via la publicité payante qui permet aux marques de toucher un plus grand nombre d’utilisateurs.
Enfin, Apple est aujourd’hui dans une position équivalente à celle d’Amazon : ses différents produits sont propices à une utilisation dans un cadre assurantiel, mais rien n’a été spécifiquement créé dans ce sens par la firme de Cupertino. Ainsi, sa volonté de s’imposer dans l’habitacle de nos voitures avec son Car Play (contre le Android Auto de Google) pourrait lui permettre de devenir un acteur de premier plan pour le monde de l’assurance automobile. Autre exemple, le développement de l’application HealthKit, plateforme de suivi d’activité physique, équivalent du Google fit, lui permet d’engager aujourd’hui des discussions avec les assureurs afin de négocier l’échange des informations collectées.
… qui sont néanmoins confrontés à des barrières importantes
Le positionnement de ces géants du web fait aujourd’hui frissonner les assureurs. Pour autant, la fin des acteurs traditionnels n’est pas si proche qu’il y parait. Tout d’abord, les initiatives, bien qu’existantes, sont encore aujourd’hui limitées. Mais surtout, ces entreprises n’entrent aujourd’hui que là où elles sont compétentes, c’est-à-dire dans l’interaction avec les clients. Ainsi, sur le cœur de métier de l’assureur (actuariat, assistance, gestion des sinistres, etc.), la marche semble encore trop grande pour craindre une concurrence frontale. Cela est notamment dû à la sensibilité et à la complexité que représente un contrat d’assurance pour les clients. Une illustration parfaite peut être trouvée dans le service Google Compare, qui propose aux clients, directement sur la page présentant les offres, un click-to-call avec un agent local de l’assureur. Le client se retrouve alors rassuré grâce à ce contact humain et surtout peut se faire conseiller grâce à l’expertise de son interlocuteur.
Ainsi, l’intrusion des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) sur le marché de l’assurance apparaît inéluctable. Leur rôle devrait, au moins dans un premier temps, se limiter à la distribution et à la connaissance client. Néanmoins, même avec cette place limitée, ils constituent une menace pour les assureurs tant l’accès à la connaissance client revêt une importance capitale pour le développement d’offres innovantes (pay as you drive, etc.). Mais surtout, la dépendance à l’un de ces quatre géants pour la distribution de ses produits est un risque qu’aucun assureur ne peut se permettre. Leur meilleure arme pour se défendre de ce scénario catastrophe ? Le développement d’une expérience client multicanale fluide et facile et surtout l’importance donnée à la satisfaction. À une période où l’équivalent de 400 milliards de prime d’assurance est sur le point de changer d’assureur, il semble que la lutte ne fait que commencer.