Comme l’explique Thomas H. Davenport dans la Harvard Business Review, l’analyse prédictive n’est pas une idée neuve dans le monde de l’entreprise. Dans le secteur de l’Assurance, des actuaires utilisent quotidiennement des données du passé et construisent des modèles analytiques pour prédire la probabilité d’un événement futur. Les résultats obtenus via ces modèles statistiques servent directement à la prise de décision. L’Assurance a ainsi été un des premiers secteurs à utiliser l’analyse prédictive dans la gestion du risque client via des méthodes de scoring.

Pour autant, les avancées technologiques dans la capacité à traiter les données, accompagnées d’une baisse des coûts des solutions d’analyse décisionnelle, amènent les Assureurs à élargir leurs usages de l’analyse prédictive et à se doter de nouveaux outils. Ce changement technologique permettrait de décliner l’analyse prédictive sur l’ensemble de la chaîne de valeur et contribuerait même à réinventer le métier de l’assurance selon McKinsey. Qu’en est-il réellement?

L’analyse prédictive, une technique indispensable au data mining et au big data

big-dataL’analyse prédictive est souvent confondue avec le data mining ou le big data. Si le data mining va permettre d’extraire des informations pertinentes à partir d’une grande masse d’informations détaillées et ainsi expliquer des phénomènes essentiels pour l’entreprise, la vérification des liens de causalité entre les informations remontées se fera via l’analyse prédictive. De la même manière pour le big data, les données externes à l’entreprise non structurées seront intégrées en tant que variables dans les modèles prédictifs. Le data mining et le big data viennent donc alimenter l’activité d’analyse prédictive. D’où le terme d’analytique avancée (advanced analytics en anglais) pour qualifier l’ensemble de ces notions par une seule terminologie.

La déclinaison de l’analyse prédictive sur l’ensemble de la chaîne de valeur du métier de l’Assurance

Historiquement, l’Assurance est pionnière dans l’utilisation de l’analytique à travers la technique du scoring permettant d’associer un risque à un client. Les avancées dans les technologies et capacités de traitement de la donnée et l’accès à de nouvelles sources de données publiques ou privées ont permis d’élargir le champ d’utilisation de l’analyse prédictive dans l’Assurance. En 2013, Gartner affirmait que le « seuil de productivité » de l’analyse prédictive était atteint. Ce passage d’un gain potentiel à un gain estimé a convaincu les Assureurs de se lancer.

L’analyse prédictive approfondie permettrait ainsi de jouer sur l’ensemble des leviers de la chaîne de valeur de l’Assurance via des processus métiers plus performants définis à partir de modèles statistiques enrichis (incluant les réseaux neuronaux, les règles d’expert, les arbres de décisions,…). Cette technique serait même au cœur de la création ou du maintien d’avantages concurrentiels dans un marché mature et fortement concurrentiel.

L’utilisation de modèles prédictifs contribue à:

  • L’amélioration des prises de décisions dans la souscription et la lutte contre la fraude grâce une évaluation plus rapide et plus fiable du risque client et du risque de fraude;
  • Une meilleure identification de la « valeur client » et la communication ciblée vers les clients à fort potentiel;
  • L’optimisation des processus métier à travers leur automatisation via des règles métiers;
  • La réduction des coûts associée à la diminution des traitements manuels et l’identification de plus de cas de fraude;
  • La définition de produits personnalisés attractifs pour les clients (nouveaux produits, meilleur pricing model, usage-based insurance ).

Les gains de productivité dégagés devraient permettre aux équipes de se consacrer sur des tâches à haute valeur ajoutée comme la relation client, le contrôle ciblé ou encore la gestion des dossiers complexes.

Des exemples d’utilisation concrets

Plusieurs exemples de domaines d’utilisation de l’analyse prédictive dans l’Assurance sont en train d’émerger :

Un scoring automatisé et en continu des dossiers clients

Les dossiers clients sont scorés tout au long du processus d’indemnisation, sur des problématiques de détection de fraude, de calcul de provisions, de recouvrement ou encore pour estimer la complexité des dossiers. Ce procédé se déroule en continu et en parallèle du traitement de la déclaration de sinistre permettant une actualisation permanente de l’évaluation du risque. Le sujet de l’utilisation de l’analyse prédictive dans la lutte contre la fraude à l’Assurance fera l’objet d’un un article spécifique sur Insurance Speaker. L’automatisation du scoring est fortement génératrice d’économies pour les Assureurs. Le journal britannique The Economist estime qu’elle réduirait de 90% les frais de souscription.

Un renforcement de la gestion de la relation client

nuage de mots bulles carré  : connexion client magasinDans un marché en faible croissance et fortement concurrentiel, l’analyse prédictive permet de cibler et fidéliser les segments de clientèle à plus forte valeur ajoutée et d’améliorer la tarification et le taux de souscription des différents contrats d’assurance. L’analytique sert ici à tirer le meilleur retour sur investissement dans la relation client en distribuant les efforts en fonction du potentiel et du risque client tout au long de son cycle de vie. Cette méthode consolide différents types de modèles prédictifs : modèle de valeur du cycle de vie client , modèle d’acquisition (conversion d’un prospect en client), modèle de vente croisée (cross-selling) ou de montée en gamme (up-selling), modèle d’attrition, modèle de tonalité pour prévoir quel type de message sera le mieux adapté à chaque client,…Au final, c’est une stratégie globale de gestion client qui est fondée sur l’analyse prédictive.

La personnalisation de l’offre et de la tarification

Deux facteurs jouent dans le sens d’une plus grande individualisation des primes d’assurance : la meilleure connaissance client et l’essor du usage-based insurance. D’une part, l’analyse prédictive permet de mieux cibler le risque spécifique individuel en intégrant et analysant plus de variables explicatives (que dans le passé) et donc d’associer en face le prix de la police le plus adapté. L’intérêt pour le client peut être une diminution du prix de sa police si son risque est identifié comme plus faible. D’autre part, la télématique et les objets connectés rend possible une facturation du risque à l’usage. C’est déjà le cas pour plusieurs compagnies d’assurance automobile.

Vers une redéfinition du business model de l’Assurance grâce à l’analyse prédictive ?

L’innovation majeure de l’analyse prédictive actuelle pour l’Assurance réside en ce que l’Assureur dispose actuellement d’informations permettant de renforcer son rôle de prévention. En analysant les données clients, il est en capacité d’identifier les risques liés au comportement client (santé, sécurité habitation, sécurité routière,…) et peut agir via un accompagnement personnalisé auprès du client pour l’inciter à réduire son risque. Par cette approche conseil, l’Assureur peut ainsi espérer diminuer les décaissements à venir pour sa compagnie.

Les limites à l’utilisation

Ces limitations sont de deux sortes :

Des restrictions juridiques qui viennent contraindre l’usage des données

fingerprint and data protection on digital screenIl s’agit avant tout de l’interdiction d’achat ou d’utilisation de données sans le consentement des clients. C’est le cas principalement en Europe tandis que les États-Unis considèrent à l’inverse que la donnée personnelle est un bien marchand. Il s’agit également de l’interdiction d’utiliser des données pour tarifer différemment un risque équivalent à des populations distinctes socio-économiquement. Cette pratique appelée optimisation du prix fait l’objet d’un fort contentieux aux Etats-Unis, où elle est considérée comme discriminatoire par l’Association des Consommateurs Américains, dans la mesure où elle reviendrait à surfacturer les consommateurs les moins en capacité de comparaison et de mobilité (pour des raisons sociales, économiques ou éducationnelles) dans leur choix de polices d’Assurance. En 2013, 45% des compagnies d’Assurance américaines de plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires utilisaient pourtant cette pratique et 36% affirmaient se préparer à l’utiliser dans un futur proche.

Des limites « cognitives » liées à une transformation radicale du métier d’Assureur

La première limite est conceptuelle et provient du risque de rupture potentielle du principe de mutualisation par la personnalisation de la tarification. Une meilleure évaluation et tarification du risque va venir « pénaliser » des clients bénéficiant jusqu’à présent de tarifs avantageux car leur risque était mutualisé avec des clients moins risqués. La seconde provient de la complexité des modèles statistiques utilisés qui, outre des erreurs possibles dans les liens de causalité, risque de générer une certaine opacité pour le client dans l’analyse de son risque. Pour prévenir ce biais, certaines compagnies d’assurance ouvrent leurs modèles statistiques à leurs clients voire procèdent à du crowdsourcing en actuariat afin de les améliorer.

Conclusion

Risquons une prédiction. L’affirmation selon laquelle la prolifération de sources de données tiers (comprenez développement du big data) réduirait la dépendance des assureurs vis-à-vis des données internes est sans doute vraie à moyen terme…mais pas à court terme. Dans les prochaines années, l’utilisation de données internes via l’analyse prédictive permettra aux assureurs de renforcer leur compétitivité voire de dégager de nouveaux avantages compétitifs. La chance pour les Assureurs est que ces données internes ne seront pas accessibles aux potentiels nouveaux arrivants sur le marché de l’assurance qui ne pourront disposer que de données externes, non structurées, et avec moins d’historique. Reste donc aux Assureurs de bien utiliser leurs données internes pour conserver une longueur d’avance.