L’innovation ouverte dans l’Assurance : mythe ou réalité ?
Depuis décembre 2014 se déroule sur la plateforme américaine de crowdsourcing Kaggle un grand challenge d’innovation participative à l’initiative d’Axa. Ce concours, ouvert à tous, a pour finalité de mieux évaluer les comportements d’un conducteur (et in fine le risque associé) grâce à l’utilisation de données issues d’objets connectés embarqués en voiture. Par cette initiative, l’assureur entend utiliser à plein le « pouvoir de la foule » pour définir les contours de son métier de demain. Pour autant, le crowdsourcing est-il véritablement ce catalyseur du changement dans l’Assurance comme l’annonçait le Financial Times en 2012? Que recouvrent réellement les pratiques actuelles d’innovation ouverte dans l’Assurance et peut-on s’attendre à ce qu’elles touchent son cœur de métier en la matière de l’actuariat ?
L’innovation ouverte dans l’Assurance, un foisonnement de concepts orientés vers la recherche d’expertise et d’innovation
L’innovation ouverte peut être définie comme l’ouverture d’une entreprise à des partenaires extérieurs pour innover. Elle se manifeste sous plusieurs formes :
- le crowdsourcing qui correspond à l’externalisation de la réalisation d’une tâche faite en interne par un ou plusieurs collaborateurs vers une population large et indéfinie accessible sur internet,
- le broadsourcing qui consiste en la soumission d’un problème qu’une entreprise est incapable de résoudre au sein de son organisation à un réseau d’experts à l’externe,
- le hackathon qui correspond à un rassemblement de développeurs organisés par équipe autour de porteurs de projet avec l’objectif de produire un prototype d’application sur une durée déterminée,
- l’appel à idées qui est principalement utilisé dans le cadre de la recherche en marketing et en innovation produit.
Dans la pratique, les initiatives d’innovation ouverte dans l’Assurance mélangent ces différents concepts et se retrouvent sur l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur. Deux grandes tendances émergent néanmoins.
La recherche d’expertise : L’initiative pionnière en matière d’innovation ouverte dans l’Assurance a été celle de l’assureur américain Allstate en 2011 qui s’est placé d’emblée à la limite haute du crowdsourcing en lançant un concours pour définir un nouveau modèle d’évaluation du risque de dommage corporel dans l’assurance automobile. Bien qu’ouvert à tous, le public visé était les spécialistes de la statistique. Le modèle vainqueur, parmi les 107 modèles proposés, s’est révélé plus fiable de 271% que celui d’Allstate qui évaluait le risque en fonction des caractéristiques du véhicule utilisé par le client. Ce lancement prometteur a été suivi par d’autres initiatives comme celles d’Axa en 2015 (avec plus de 1200 participants) et vient conforter l’impression qu’un assureur pourrait ajouter à ses équipes, à tout moment, un potentiel inépuisable d’experts ou de talents issus du monde entier et accessibles directement depuis le web.
La recherche d’innovation: Plusieurs stratégies d’innovation produit sont déjà utilisées par les assureurs. UnitedHealth Group aux États-Unis a ainsi utilisé la plateforme de crowdsourcing InnoCentive en 2013 pour venir suppléer sa propre cellule interne d’innovation dans la définition d’une nouvelle expérience en ligne pour ses clients. Par ailleurs, les réseaux sociaux sont utilisés pour recueillir les avis et améliorer la relation client mais aussi pour découvrir de nouvelles opportunités de revenus et anticiper les changements du marché. Au final, c’est l’ensemble du marketing produit et de la relation client dans l’Assurance qui sont accompagnés par le l’innovation ouverte en réduisant le coût, le risque et la durée de recherche en développement produit et la mise sur le marché grâce à un accès permanent au « focus groupe » le plus large et varié imaginable que constitue internet.
Une utilisation de l’innovation ouverte en actuariat décevante malgré des initiatives pionnières
Allstate a été un des premiers assureurs à percevoir l’intérêt du crowdsourcing en actuariat bien que l’utilisation de cette méthode pour la définition ou l’amélioration de modèles statistiques ne soit ni spécifique à l’Assurance ni nouveau. Avant Allstate, Kaggle avait déjà été utilisé par des compagnies mondiales, intervenant sur des secteurs variés, comme General Electric, Amazon, Facebook, Walmart ou Ford. Cependant, le fait qu’une compagnie d’Assurance ait recours au crowdsourcing en matière d’actuariat, son cœur de métier, a suscité un fort écho dans la blogosphère et le marché de l’Assurance.
Quatre ans après cette démarche pionnière, l’utilisation du crowdsourcing dans l’actuariat s’est pourtant révélée limitée. Une des explications possibles est la concomitance de ces initiatives avec l’arrivée sur le marché d’outils d’analyse prédictive, de Business Intelligence et de Big Data plus puissants, moins onéreux, et surtout plus faciles à intégrer et utiliser. En parallèle, les assureurs ont intégré dans leurs effectifs de nouvelles recrues spécialisées sur ces technologies. Moins de besoin donc d’un côté en raison de plus de ressources internes, mais aussi le constat d’une difficulté à organiser du crowdsourcing en actuariat. Et c’est sans doute là la principale raison de la réticence des assureurs à se lancer.
Outre la problématique du partage de données, l’innovation ouverte en actuariat nécessite en effet :
- d’adapter la culture interne de son organisation pour valoriser l’ouverture,
- un sponsoring du top management,
- une évaluation fine de son besoin et de l’information à mettre à disposition aux participants.
Toutes ces actions préalables prennent du temps et ne sont pas neutres financièrement. Le coût global de l’organisation d’un concours ouvert à l’externe ne se résume pas aux modestes récompenses (de l’ordre de 10 000 à 50 000 euros) !
Un potentiel qui reste à exploiter pour l’actuariat en utilisant une méthodologie adaptée
Pour autant, certaines compagnies ont franchi le pas et continuent à le faire. À chaque fois les participants sont plus nombreux. L’exemple d’Axa est d’ailleurs révélateur. Après un premier concours organisé entre avril et juin 2014 sur la plateforme française datascience.net pour définir des modèles prédictifs sur le comportement des clients vis-à-vis des produits Axa selon la conjoncture économique, Axa a récidivé en 2015. Et cette fois-ci, comme cité précédemment, sur une plateforme anglophone.
Malgré les défis que pose l’innovation ouverte dans l’Assurance, son retour sur investissement potentiel milite pour se lancer. Une meilleure connaissance des besoins clients et des produits du futur ainsi qu’une amélioration de leurs modèles statistiques sont à attendre de la part des assureurs. Certains prérequis sont néanmoins indispensables pour profiter de ce potentiel. La meilleure pratique du moment est de définir et délimiter avec précision les sujets de réflexion à communiquer en externe pour que le travail réalisé « par la foule » puisse être réintégré dans un process, dans un modèle statistique ou dans un produit.
Reste à convaincre ses collaborateurs de jouer le jeu et à trouver les bons incentives pour qu’ils perçoivent tout l’intérêt d’ouvrir leur organisation, leurs méthodes et certaines de leurs informations à l’extérieur de l’entreprise.