Nous avions abordé dans un précédent article ce qu’était un contrat Homme-clé et cité quelques exemples. Les Etats-Unis ont poussé la logique à l’extrême, par le biais d’un cadre juridique et fiscal nommé « COLI » (Corporate-Owned Life Insurance).

Le COLI permet à une entreprise d’assurer ses salariés, de payer les primes requises et de devenir le bénéficiaire des capitaux versés en cas de décès. Quand il s’agit d’une banque, la formule s’appelle BOLI (Bank-Owned Life Insurance). Ce marché représente 20% des contrats d’assurance-vie en vigueur aux Etats-Unis.

Autrefois, cela se faisait à l’insu du salarié assuré. Le capital assuré et versé n’était pas imposé, constituant ainsi une niche fiscale. Plusieurs cas avaient fait scandale. Ainsi le conjoint d’une salariée gravement malade avait découvert qu’au décès de celle-ci l’entreprise avait touché plusieurs centaines de milliers de dollars alors qu’il s’était endetté jusqu’au cou pour lui payer ses soins médicaux (cf. le film documentaire de Michael Moore Capitalism: A Love Story).

Nouvelles règles pour limiter les abus

Depuis les nouvelles règles établies sur le COLI et le BOLI par le Congrès ; « The COLI Best Practices Provision » (comprenant le BOLI), et le « Pension Protection Act of 2006 », ce capital ne peut être versé à l’entreprise que si :

  • le salarié a été avisé à la souscription de son montant, du fait qu’il n’en est pas bénéficiaire (ou seulement partiellement),
  • du fait qu’il restera assuré après le départ de l’entreprise ou pendant sa retraite, et s’il a donné son consentement.

Désormais les capitaux perçus en cas de décès ne seront exemptés d’impôts qu’à concurrence des primes payées, le reste étant imposable, à l’exception toutefois des cas suivants :

  • des dirigeants ou des cadres hautement rémunérés : gagner au moins 110.000 dollars (chiffres réajustés chaque année), ou être l’un des cinq cadres les mieux payés ou encore figurer dans la liste des 20% des salariés les mieux payés,
  • des salariés avec moins d’un an d’ancienneté,
  • des capitaux versés à la famille du salarié ou sa succession,
  • des capitaux versés sur un fonds participatif de l’employeur en faveur des salariés.

Avec ce dernier point, les contrats d’assurance vie deviennent donc un moyen pour l’entreprise de financer les prestations sociales qu’ils offrent à leurs salariés (décès, incapacité, invalidité, dépendance, Santé, Retraite complémentaire de l’entreprise, etc.), notamment pour attirer et retenir leur personnel.

Quels avantages pour les entreprises, notamment les banques ?

Les primes versées aux assureurs donneront lieu au reversement d’intérêts chaque année, intérêts qui seront de plus à imposition différée, uniquement lors d’un retrait partiel ou d’un rachat total.

Le rendement est bien supérieur aux intérêts bancaires que rapporteraient ces mêmes sommes sur des fonds de trésorerie bancaires, compte tenu des frais de dépôts ou de gestion et de la faiblesse des taux actuels.

Le taux de rendement est net de taxes, compris entre 3,25% et 3.50%, alors qu’il faudrait trouver un placement sur le marché des capitaux avec un rendement brut imposable de 5% à 5,4% pour avoir l’équivalent.

Par ailleurs, le BOLI permet d’augmenter les profits d’une banque et la valeur actionnariale. Si une banque est imposable à hauteur de 38%, en investissant 5 millions de dollars dans un BOLI, le rendement (à 3,25%) rapportera 162.500 dollars.(alors qu’une obligation d’état à 5 ans à 0,93% ne rapportera que 46.500 dollars avant impôts) avec une incidence directe sur la valeur des actifs (qui se trouvent de cette façon par ailleurs diversifiés), sur la valeur de l’action de la société et sur le rendement des capitaux propres.

Il existe néanmoins un risque si les valeurs de rachat sont adossées à des supports en unités de compte. Une prime de 100 dollars pourra en fin d’année représenter 80 dollars si le support d’investissement baisse. Dans les comptes, la valeur de rachat sera de 80 dollars, les 20 dollars de perte seront imputés comme des flux de trésorerie parmi d’autres, ce qui peut induire les investisseurs en erreur. Le montant des primes n’est pas réellement connu comptablement et n’est donc pas un indicateur de premier plan. Il est estimé cependant que depuis 2010 les nouvelles souscriptions totalisent chaque année plus d’un milliard de dollars.

Un marché « Homme clé » imposant mais menacé

Selon Hartford Life Insurance, un quart des Fortune 500 compagnies (classement des 500 premières entreprises américaines, classées selon l’importance de leur chiffre d’affaires) ont des polices COLI, sur la tête de 5 millions de personnes.

Selon IBIS Associates, spécialisée dans les études de marché, 1100 contrats de type BOLI ont été vendus en 2012, représentant 4,4 milliards de dollars (dont 2 milliards pour un seul contrat). De 2011 à 2012, les valeurs de rachat détenues par les banques sont passées de 131,95 milliards à 137,95 milliards de dollars. Sur un total de 7083 banques et caisses d’épargne, 53,4% possèdent des contrats BOLI.

Néanmoins, le succès de COLI et BOLI est dépendant de l’évolution des liquidités de l’entreprise, des taux d’intérêts et de la fiscalité. L’administration du président Obama a proposé plusieurs fois de nouvelles règles fiscales et notamment la taxation directe, ou indirecte des souscripteurs ou des valeurs de rachat accumulées dans le but de collecter 13 milliards pour la décennie à venir ; pour l’instant sans y parvenir, mais menaçant d’assécher le marché.

Comparaisons transatlantiques : et la France ?

On peut se demander si le marché des BOLI/COLI de 138 milliards de dollars peut être introduit en France : l’assurance vie y totalise 1400 milliards d’euros.

Vraisemblablement pas : en France, il existe des régimes obligatoires ou complémentaires (Retraite, Sécurité Sociale, etc.), qui diminuent l’attrait de prestations sociales délivrées par l’entreprise. Psychologiquement, l’opinion ne comprendrait pas que l’entreprise puisse s’enrichir sur le décès d’un salarié sans la moindre contrepartie individuelle, même si les capitaux versés devaient profiter collectivement aux salariés survivants. Un dispositif fiscal spécifique pour accompagner et faciliter ce genre de contrat serait donc très probablement rejeté par le législateur.