Le marché des « contrats Homme-clé » est mal connu de beaucoup d’assureurs et pourtant brasse des milliards.

De quoi s’agit-il exactement ?

Les anglo-saxons appellent cela « Corporate-owned life insurance » : une entreprise est à la fois souscripteur et bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie signé sur la tête d’un, plusieurs voire la totalité de ses membres (dirigeants, salariés, travailleur non salarié, actionnaire).

Lorsque l’assuré est une personne qui exerce un rôle crucial pour l’entreprise, il s’agit d’assurance homme-clé.

Mis à part le propriétaire d’une entreprise, d’autres contrats homme-clé peuvent être souscrits par exemple pour :

  • un avocat qui gagne beaucoup d’affaires pour le compte de son cabinet,
  • un commercial de haute volée,
  • un mannequin le temps d’une saison,
  • un acteur, pendant le tournage de son film, un animateur à succès,
  • le chef cuisinier réputé d’un restaurant,
  • le chirurgien spécialisé qui attire les patients du monde entier pour son hôpital ou sa clinique.

 

Un objectif de protection du capital humain de l’entreprise

Le but de cet ensemble d’assurances est de compenser le préjudice qui résulterait de la disparition ou de l’absence prolongée de la personne clé.

Plusieurs catégories de risques peuvent être couverts lorsque l’assuré est décédé ou dans l’incapacité d’exercer sa fonction, par versement d’indemnités en cas de pertes d’exploitation ou bien par versement d’un capital :

  • compensation des pertes dues à l’incapacité de l’assuré et frais engagés pour le remplacer,
  • protection des profits habituellement réalisés grâce à l’assuré,
  • continuité de la caution bancaire donnée par l’assuré à un prêt bancaire octroyé à l’entreprise,
  • rachat des parts de l’assuré actionnaire décédé par les autres actionnaires de l’entreprise, pour éviter la prise de capital par des outsiders.

  

Le marché des contrats Homme-clé se segmente en groupe différencié

  •  Stard up

La souscription d’une assurance « Homme-clé » est en général imposée par les investisseurs d’une Startup, vu que tout repose sur le potentiel et les compétences des fondateurs. Un investissement de deux millions d’euros par exemple reste un pari sur le succès d’une compagnie avec une idée séduisante, un entrepreneur plein d’énergie mais sans produits, sans clients et sans profits.

Néanmoins, les prix proposés par l’assureur sont souvent très chers par rapport aux capacités financières de l’entreprise, qui essaye de minimiser ses frais, faute de fonds propres et de trésorerie.

  •  Petites entreprises moyennement capitalisées

En France, une estimation de 10% des faillites d’entreprises ont pour origine la disparition d’une personne clé.

Seulement 25% des entreprises sont assurées en France. Après le décès ou l’incapacité d’un homme-clé, 30 à 40% des entreprises non assurées disparaissent dans les 18 mois qui suivent.

Lorsqu’un capital est garanti, les produits d’assurance proposés sont souvent standard, sous forme de package avec des options. Ces assurances sont tarifées comme des produits d’assurance individuelle, en fonction de l’âge de l’assuré et de données statistiques : tables d’expérience de l’assureur ou tables de mortalité, lois de maintien d’incapacité et d’invalidité. Un questionnaire médical est souvent demandé pour déceler les risques aggravés. Des clauses restrictives peuvent exister. Pour des produits plus élaborés, la prime peut être fonction d’autres paramètres relatifs à l’entreprise : secteur d’activité, profession de l’homme-clé, zone géographique.

Fiscalement, les primes ne sont pas déductibles du bénéfice imposable. En cas de sinistre, les prestations perçues des assureurs constituent des recettes exceptionnelles taxables, après déduction des primes versées, en tant que frais d’acquisition.

Si par contre, l’assurance a un caractère indemnitaire, les règles d’indemnisation étant celles d’une assurance perte d’exploitation, les primes sont déductibles du bénéfice imposable. Les indemnités perçues sont des recettes imposables ; il s’agit souvent de produits sur mesure.

  • Grandes entreprises

Les fonctions et les responsabilités étant en général diluées ou réparties entre plusieurs personnes, les contrats « Homme-clé » sont moins cruciaux que dans les petites entreprises. Les assurés sont en général des individus stratégiquement importants, des dirigeants ou des cadres supérieurs. Mais un dispositif bien conçu de remplacement ou de succession est une solution plus efficace que la souscription d’un contrat Homme-clé.  

Et constitue un marché de niche pour certaines secteurs d’activités

Les contrats « homme-clé » intéresse de petits segments de marché, mais où les montants en jeu sont considérables. Citons quelques exemples représentatifs :

  • Football

Le club du Real Madrid a souscrit un contrat d’assurance «homme-clé» sur la tête de Gareth Bale à hauteur de 91 millions d’euros correspondant au montant de l’indemnité qu’il avait dû verser au club de Tottenham pour récupérer le joueur. Le club en est le bénéficiaire exclusif, la couverture étant le décès et l’inaptitude à la profession de Footballeur.

Pour Barcelone, le cumul des capitaux de ses joueurs atteignait plus de 450 millions d’euros ; capital trop important pour les assureurs traditionnels, d’autant que les opérations de réassurance ont leurs limites (le capital réassuré par joueur est limité à 15 millions d’euros au cumul, i.e. tous réassureurs confondus). L’indemnité mensuelle classique par ailleurs pour incapacité est limitée à 15.000 dollars la plupart du temps. La solution retenue a été de passer par le marché d’assurance des Lloyd’s de Londres connu pour la flexibilité de ses garanties, la hauteur des montants couverts et la rapidité d’exécution. Un dispositif de coassurance multi-polices intégrant plusieurs dizaines de syndicats (i.e. assureur des Lloyd’s) a ainsi été mis en place.

  • Hedge Funds 

Les revenus dégagés par les milliards de dollars confiés aux Hedge Funds dépendent des décisions prises par des gestionnaires de fonds. Le décès ou l’incapacité de l’un d’entre eux, souvent dévolu à la gestion d’un seul support d’investissement, peut conduire à un retrait précipité de fonds par les déposants qui lui faisaient confiance. Le risque de liquidation de comptes est couvert par une assurance Homme clé sur mesure, très souvent souscrite par Lloyd’s, vu la hauteur des sommes en jeu.

  •  Production cinématographique

Universal Pictures avait souscrit auprès de l’assureur Fireman’s Fund un contrat Homme clé sur la tête de l’acteur Paul Walker, décédé en 2013 pendant le tournage inachevé de Fast & Furious 7. L’assureur a accepté la poursuite du tournage (250.000 dollars par jour à ses frais pendant quelques mois) afin de limiter le montant des indemnités à payer en cas de décès (50 millions de dollars). Universal Pictures y a trouvé son compte en voyant son projet aboutir, en gardant en tête les profits de 788 millions de dollars du film précédent Fast & Furious 6.

L’entreprise a donc la possibilité de souscrire un contrat Homme Clé pour protéger son capital humain. Cependant, elle peut le faire aussi pour des raisons purement financières comme aux Etats-Unis par exemple. A suivre dans un prochain article…