Dans quelques mois, la nouvelle réglementation européenne Solvabilité 2 devra être ratifiée par les différents pays membres afin d’être effective en 2016. Malgré cette échéance qui arrive à grands pas, cette réglementation fait toujours l’objet de vives critiques et de mécontentement notamment auprès des petites structures.

En mars dernier, le Parlement Européen a voté la directive Omnibus 2 qui est venue amender Solvabilité 2 et reconnaitre le principe de proportionnalité. Par la même occasion, un des amendements déposé par la Fédération Nationale des Mutuelles Indépendantes (FNMI) a été rejeté. L’objectif était de permettre aux mutuelles de proximité qui encaissent moins de 50 millions d’euros de cotisations d’être exonérées de la directive.

Plus globalement, les petites structures critiquent vivement la directive en pointant du doigt sa complexité et sa lourdeur de mise en place. Elles redoutent notamment que la nouvelle directive et certaines exigences du Pilier 2 ne remettent en cause leurs modèles de gouvernance. En effet, le secteur de l’assurance compte beaucoup d’entités de tailles très différentes pour lesquelles le respect des exigences peut s’avérer très difficile et onéreux. Focus sur ces difficultés que rencontrent les petites structures dans la mise en conformité au pilier 2.

Pilier 2 : des exigences sur la gouvernance difficilement respectables pour les mutuelles

Au-delà des obligations du Pilier 2 en matière de gestion des risques et de contrôle interne que j’ai déjà abordé dans deux précédents articles, certaines exigences, relatives à la gouvernance de la structure et aux compétences des dirigeants peuvent être difficiles à respecter en l’état.

Trois d’entre elles s’avèrent particulièrement délicates à respecter pour les mutuelles :

  • Exigences sur les compétences et l’honorabilité, ce principe stipule que chaque membre des conseils doit avoir les compétences pour siéger dans les instances. La difficulté principale réside dans le fait que les administrateurs des mutuelles sont des bénévoles. Des restrictions sur les « compétences » pourraient entrainer un déficit de candidats potentiels.
  • Le respect du principe des « quatre yeux », ce principe stipule que deux personnes en charge de la «direction effective» doivent être désignées dans le respect de l’exigence de compétences et d’honorabilité. La directive ne précise pas qui doit les nommer, ce qui devra être fait dans la transposition en droit français. Deux possibilités sont envisagées ; une nomination par la société elle-même ce qui permettrait de prendre en compte les spécificités de gouvernance des structures, ou par l’administration (l’ACPR) qui serait certainement à l’image de la réglementation bancaire à savoir la direction générale et la direction générale adjointe. Dans le second cas les petites structures pourraient voir leur modèle de gouvernance mis à mal car elles ne seraient pas en mesure de respecter l’exigence sans faire évoluer leur gouvernance. En effet, beaucoup d’entre-elles ne disposent pas de ces organes.
  • L’évolution de la gouvernance pour créer l’organe d’administration, de gestion et de contrôle. Cet organe, responsable de l’application de la réglementation, pourrait être composé du conseil d’administration et de la direction générale en vertu de la séparation des fonctions et du principe de « compétences et d’honorabilité ». Or, de nombreuses petites structures ne disposent pas des bons niveaux de compétences au sein de ces instances (pour celles qui les possèdent !). En effet, certaines gouvernances fonctionnent avec un conseil d’administration et une assemblée générale (mutuelles de santé) ou un directeur général avec une large délégation de pouvoirs du conseil d’administration (société paritaire). Ainsi, ce nouveau dispositif de contrôle doit être composé des bons organes à même de juger l’application de la directive.

Le respect de ces exigences pourrait être source de risques financiers compte tenu des investissements nécessaires mais également source de risques organisationnels voir de mise en danger de la pérennité des structures.

La mise en conformité à ces exigences pour les petites structures devra passer par la proportionnalité et la bonne transposition de la directive en droit français.

La proportionnalité : un premier élément de réponse mais difficile à mettre en place

Le principe de proportionnalité est inscrit dans l’ensemble des traités et directives de l’Union Européenne. Cela signifie concrètement pour les entreprises que la transposition des directives doit faire l’objet d’une application au plus juste en intégrant les besoins et contraintes de l’entreprise. L’objectif est de ne pas « surcharger » la structure en matière de conformité réglementaire.

Les petites structures doivent d’autant plus appliquer le principe de proportionnalité que leur business-model est simple, souvent basé sur un unique produit d’assurance ou de prévoyance limitant ainsi les risques. Contrairement à de grosses structures qui en étant diversifiées diversifient également leurs risques.

La proportionnalité semble être le « Saint Graal » pour les petites structures, pourtant, ce principe a été pendant longtemps la victime des foudres des associations représentatives. En effet, la réglementation ne donnait que très peu de règles d’application de la proportionnalité. Toutefois, le Parlement Européen a intégré récemment dans la directive un dispositif permettant aux superviseurs nationaux la liberté de décliner localement l’application de la proportionnalité et ses atténuations éventuelles.

Aujourd’hui, en l’absence de ligne de conduite précise sur le respect de ce principe, c’est bien aux assureurs de juger du niveau de proportionnalité nécessaire à mettre en œuvre et d’apporter la justification de cette pertinence au régulateur.

La mise en œuvre du principe de proportionnalité : les bonnes pratiques

L’intégration de la proportionnalité doit être adaptée aux contraintes individuelles, par conséquent les modalités de mise en application différent d’une structure à une autre. Néanmoins, des bonnes pratiques peuvent être respectées afin de limiter l’exposition aux risques et mettre en application la directive « sereinement ».

Empêcher toute déstabilisation de l’organisation et de la gouvernance

L’objectif de la mise en œuvre de la proportionnalité est d’assurer une bonne couverture des risques de l’entité sans remettre en cause ou fragiliser son organisation.

A ce sujet, l’ACPR a publié dans l’un de ses communiqués des directives « macro » relatives aux points de gouvernance pouvant être source de blocage pour les petites structures. Ce document apporte une aide sur la mise en application de la proportionnalité.

Limiter la facture de mise en conformité…

Au-delà des enjeux de gouvernance qui peuvent entrainer des perturbations fortes au sein de l’organisation, il est nécessaire de maximiser l’utilisation des dispositifs existants pour limiter les investissements couteux.

Ainsi, la mise en place des fonctions clés telles que l’audit, le contrôle interne, la conformité et le risk management peuvent engendrer des coûts importants en ressources humaines (à plus forte raison pour les structures ne disposant pas de ces fonctions). Ainsi, des mutualisations peuvent être effectuées :

  • En faisant supporter le contrôle interne et le risk management par la même équipe,
  • En nommant des auditeurs internes directement issus du métier de la structure permettant ainsi de valoriser un parcours et capitaliser sur la connaissance de la structure et du métier,
  • En constituant un comité « conformité » composé des personnes clés de la structure et pouvant arbitrer sur les sujets de conformité. La gestion du « quotidien » pouvant alors être attribuée à tour de rôle aux différents membres du comité.

…et choisir la bonne stratégie pour sa captive

La question des captives est un point épineux pour l’ensemble des structures. Compte tenu de leur statut d’assurance, elles sont dans l’obligation de respecter les exigences de Solvabilité 2. Par conséquent, une mise en conformité peut s’avérer nécessaire notamment sur les besoins en solvabilité pour le Pilier 1 ou les dispositifs de gestion des risques et de gouvernance du Pilier 2.

Pour les petites structures, les difficultés sont d’autant plus complexes et nombre d’entre-elles ne seront pas en mesure d’atteindre le niveau de solvabilité. Ainsi, des questions doivent se poser pour choisir la stratégie adaptée :

  • La suppression de la captive,
  • La fusion avec d’autres captives,
  • La diversification des risques supportés pour atteindre une surface d’activité plus importante.

Empêcher l’émergence d’une multitude de projets et de sous-projets

Le plus grand danger de Solvabilité 2 et de la mise en conformité au Pilier 2 pour les petites structures est la tentation d’initier en parallèle de nombreux chantiers dépendants les uns des autres. En effet, contrairement aux grosses structures qui doivent lancer des programmes plus « ciblés » pour compléter l’existant, les petites structures doivent lancer de nombreux chantiers couvrant presque l’intégralité des exigences de Solvabilité 2.

Ainsi, il est nécessaire de sélectionner les chantiers à prioriser (par exemple sur les principes de gouvernance à mettre en place) et de définir un plan d’actions pragmatique.

La mise en conformité aux exigences de gouvernance et plus globalement au Pilier 2 va s’avérer difficile pour les petites structures. La proportionnalité permettra sans aucun doute de faciliter cette tâche mais les instances représentatives devront être vigilantes sur ces aspects lors de la transposition de la Directive.

Cette difficulté est d’autant plus importante pour des projets d’envergures et complexes comme l’ORSA qui fera l’objet d’un prochain éclairage.