Nous vous avions présenté dans un précédent article l’intérêt que présente le Big Data pour la relation client des assureurs. Le Big Data est une réalité technologique de notre société dont les retombées économiques ont déjà été anticipées. Les assureurs ont quant à eux un océan de données à leur disposition et une nécessité d’investir dans la relation client.

Nous n’avions cependant pas abordé les questions relatives au déploiement d’un projet Big Data. Nous allons voir que si les solutions technologiques existent, adopter le Big Data demande de prendre quelques précautions afin de s’assurer de la réussite du projet.

Qu’est-ce qu’un projet Big Data ?

D’un point de vue système d’information, il n’existe pas d’architecture Big Data générale ou généralisable. Chaque cas d’usage impacte l’architecture SI sous-jacente d’une manière singulière. Le but commun à toutes ces architectures est celui du Big Data, c’est-à-dire de traiter plus de données, encore plus variées, et toujours plus vite. La solution technique choisie dépendra de la position de ces trois curseurs :

curseurs

Il existe cependant trois grandes familles d’offres, classées ici de la moins chère à la plus coûteuse :

  • Le Cloud : cette solution est la moins coûteuse et elle consiste à louer une plateforme à un prestataire tel qu’Amazon. Elle aussi facile à implémenter puisque toutes les infrastructures et les solutions logicielles sont hébergées chez le prestataire, déjà équipé.
    Elle est idéale pour réaliser un POC : Proof Of Concept. Cette solution permet en effet une grande flexibilité technique, permettant aux métiers d’expérimenter pour ensuite fixer leur choix et éventuellement internaliser la technologie.
  • Le Best of Breed : cette solution est un peu plus coûteuse que la précédente, mais présente l’avantage pour l’assureur d’avoir la maîtrise sur ses installations Big Data. En effet, dans ce cas, la technologie Big Data est déployée sur les infrastructures traditionnelles de l’entreprise.
    Cela permet à l’assureur une intégration complète de ses infrastructures à la technologie Big Data. Il peut ainsi s’assurer de la pleine maîtrise de ses ressources. Cette solution implique néanmoins une importante formation des membres de la DSI, afin de pouvoir s’assurer de la maîtrise et de la maintenance des nouveaux outils de l’entreprise.
  • big-data-315x176L’appliance intégrée : il s’agit de la solution la plus chère. L’assureur achète les machines dédiées et déjà packagées à un
    éditeur de solutions Big  Data. Ce dernier vient installer toutes les infrastructures dans l’entreprise.
    Cette solution permet à l’assureur d’avoir une performance maximale de son SI Big Data. Il perd cependant en flexibilité en ce sens qu’il n’a pas la maîtrise des outils qui sont installés, et doit faire appel au prestataire pour faire évoluer son SI.

Maintenant que nous avons abordé les grandes lignes du Big Data d’un point de vue architecture SI, reste à savoir comment s’y prendre une fois la solution choisie. La démarche d’adoption du Big Data suit 5 étapes :

  • Émergence : il s’agit de l’étape de prise de conscience des opportunités liées au Big Data. C’est à cette étape que sont identifiés les besoins métiers.
  • Étude : dans cette étape sont spécifiés les besoins, afin de choisir les solutions possibles
  • Expérimentation : on procède ici à des POC afin de valider les solutions choisies, en apportant les corrections et ajustements nécessaires.
  • Construction : une fois la solution choisie, verrouillée et éprouvée, on procède à son déploiement à l’échelle de toute l’entreprise, en accompagnant les divers directions métiers et la DSI dans le processus de transformation.
  • Animation : une fois la solution déployée, il convient d’opérer des veilles technologiques et sur les opportunités, afin d’effectuer les mises à jour  qui s’imposent. C’est aussi à cette étape que l’on mesure le ROI (Return On Investment) effectif.

Quels sont les freins au Big Data ?

L’utilisation des traitements Big Data pose de nombreuses questions en matière d’éthique et de vie privée concernant le patrimoine numérique personnel :

  • La difficulté de qualifier la donnée traitée en temps réel pour savoir si elle est sensible ou soumise à des règles particulières.
  • La perte potentielle d’anonymat des données dès lors qu’elles sont croisées entre elles.
  • Les difficultés à appliquer le droit à l’information des intéressés, d’obtenir leur consentement, d’exercer leur droit à s’opposer comme leur droit d’accès et de rectification ou de s’opposer à la logique d’une décision liée à un traitement de données.
  • La marchandisation des données personnelles.

C’est pourquoi il convient pour un assureur d’étudier ces questions en amont du projet, afin d’éviter tout risque d’échec, ou même risque judiciaire. Le premier des volets d’attention est bien sûr celui de la loi, qui réglemente la collecte et l’utilisation des données. Dans un précédent article, nous avions déjà attiré l’attention sur l’importance de prendre en compte la Loi Informatique et Libertés.

logo-cnilUn autre aspect important du Big Data dans l’Assurance concerne les données de santé, particulièrement sensibles. Dans son Cahier Innovation & Prospective n°2 de mai 2014, la CNIL présente les résultats de l’étude qu’elle a commandée au cabinet Hogan Lovells sur les législations de divers pays attrayant aux données de santé 2.0. Force est de constater que tous les pays qui ont essayé d’établir le distinguo entre données de santé et celles de bien-être, moins sensibles, ont eu du mal à dessiner la frontière entre les deux.

Toutes les législations sur le domaine sont encore en cours de définition, à l’image de la France. La commission Innovation 2030 présidée par Anne Lauvergeon a présenté son rapport en 2013, citant le Big Data comme un enjeu majeur. Voici les recommandations en matière de droit :

  • Créer un droit à l’expérimentation, encadré par un « observatoire des données »
  • Ne pas légiférer de manière générique, prendre une approche au cas par cas
  • Prendre le temps d’observer les usages avant de légiférer

L’autre grande limite au déploiement du Big Data dans l’Assurance est d’ordre social. En effet, l’étude « Tracking for Health » du Pew Internet Institute, publiée en 2013 et réalisée sur un panel de 3 000 américains, nous montre que les gens aiment suivre leur état de santé mais qu’ils utilisent peu les outils technologiques à leur disposition : respectivement 70% et 21%. De plus, ils partagent peu leurs informations : 34% seulement le font, que ce soit en ligne ou non, et 52% d’entre eux le font avec un professionnel de santé. Ce qui laisse penser que les gens sont peu disposés à partager leurs données, et s’ils le font, c’est de préférence avec leur médecin.

L’exploitation des données semble également poser problème. L’étude « Engaging with Digital Consumers » d’Infosys, publiée en 2013 et réalisée sur un panel de 5 000 personnes dans 5 pays (USA, UK, France, Allemagne, Australie), nous montre que les gens ne se sentent pas forcément très à l’aise avec l’idée que des compagnies et des fournisseurs de soins de santé analysent leur données de santé, bien qu’ilsreconnaissent les bénéfices possibles de telles analyses. En effet, lorsqu’on leur demande leur point de vue sur les analyses de leurs données de santé, ils sont 39% à trouver cela intrusif, 35% utile et 33% pratique (plusieurs réponses possibles).

L’exemple de la banque ING est révélateur de ces craintes. Suite à son annonce de projet Big Data en mars 2014, des réactions hostiles du public se sont manifestées. La banque a dû temporairement avorter son projet pour passer dans une phase de communication, expliquant qu’elle ne voulait nullement vendre ses données à des tiers, comme ses clients le craignaient.

Comment s’y prendre pour réussir ?

Comme nous l’avons précédemment évoqué, il existe deux grands freins au déploiement du Big Data dans l’Assurance : légal et social. La première recommandation serait donc de travailler en partenariat avec la CNIL afin de s’assurer de l’entière légalité du projet en cours. Mais il convient aussi d’anticiper un « travail d’éducation » du public, en communiquant en toute transparence sur les intentions du projet, ce qui est collecté, les analyses qui sont faites et les destinataires.

De plus, le Big Data fait émerger le besoin d’un nouveau métier : celui d’analyste prédictif ou data scientist. Ce poste, à mi-chemin entre la DSI et les directions métiers, sera en charge des données et de la définition des analyses qui peuvent en être tirées :

  • Quelles données pour quels besoins ?
  • Quelle est le niveau de qualité des données collectées ?
  • Quelles analyses sont possibles ?
  • Comment présenter les résultats (visualisation) ?

Avec ce poste, une nouvelle organisation se dessine : la Direction des données. Cette direction se place entre la DSI et les directions métiers, sans pour autant couper les ponts entre ces différentes directions. Son rôle est de définir quelles données peuvent être utiles aux besoins identifiés par les directions métiers, tout en évaluant la qualité et la fiabilité de ces données. Elle est aussi en charge de définir et d’effectuer les analyses.

Nouvelle orga

Enfin, pour réussir son projet Big Data, plusieurs points sont à prendre en compte, parmi lesquels :

  • Veiller à impliquer tous les métiers dans la transformation
  • Ne pas restreindre le Big Data aux bases de données massives et structurées, déjà dans le périmètre de l’entreprise
  • Savoir placer la limite sur la variété et le volume de données collectées
  • Penser à l’élasticité et la polyvalence des solutions techniques choisies afin d’anticiper l’évolution des besoins métiers : un SI Big Data doit pouvoir facilement évoluer avec les besoins métiers

En conclusion, pour que son projet Big Data ait toutes les chances de réussir, l’assureur doit y aller étapes par étapes, en ayant au préalable défini sa trajectoire. Celui-ci devra jouer la carte de la transparence, tant auprès du législateur que du public, et adapter son organisation en préparant l’arrivée d’un nouveau métier.