Le volume de transactions des Cat Bonds a atteint un sommet historique au cours du premier semestre 2014. Faut-il y voir un indice que la rentrée se fera sans ouragans, tsunamis et autres tremblements de terre dévastateurs ? C’est à espérer. Pour le reste, voilà l’occasion toute indiquée de revenir sur ces instruments de couverture des risques naturels encore mal connus du grand public. 


Les Cat Bonds, qu’est-ce c’est ?

Les Cat Bonds – pour catastrophe bonds ou obligations catastrophe – sont des produits financiers émis par les compagnies d’assurance ou de réassurance afin de couvrir une partie de leurs pertes financières en cas de survenance de catastrophes naturelles déterminées (ouragan, tremblement de terre, raz-de marée, éruption volcanique, etc.) au cours d’une période prédéfinie. Ils constituent une solution complémentaire aux contrats traditionnels de réassurance pour la couverture des sinistres liés aux catastrophes naturelles, et représentent ainsi une ressource importante pour le refinancement des très grands risques.

Ces produits dérivés, en plein essor, ont été développés par les compagnies d’assurance au milieu des années 1990, à la suite d’une série de sinistres de très grande ampleur survenus aux Etats-Unis. Le passage du cyclone Andrew dans le Golfe du Mexique en 1992 avait en effet entraîné pour près de 30 milliards de dollars de dégâts matériels et poussé l’industrie à rechercher de nouveaux moyens de couverture du risque.

Or, qui est toujours prêt à acheter du risque sous réserve d’une promesse de rendements élevés ? Les fonds d’investissement bien sûr ! La technique du transfert de risque à des tiers par émission de produits structurés allait ainsi pouvoir s’appliquer aux risques de catastrophes naturelles comme elle s’appliquait déjà aux risques de change ou de contrepartie, et l’augmentation de la fréquence des événements climatiques aux conséquences désastreuses allait encourager son développement aux cours des deux décennies à venir.

Comment fonctionnent-ils ?

Le montant des dégâts causés par des phénomènes d’origine naturelle s’est fortement accru au cours des dernières années, comme le montre le graphique ci-dessous.

Dégâts matériels causés par des catastrophes naturelles (en milliards de dollars US)

Montants financiers catastrophes naturelles - Cats bonds

Données : EM-DAT The OFDA/CRED International Disaster Database – notre-planete.info – 03/2014.

Lors de catastrophes d’ampleur majeure, les pertes économiques sur les biens assurés peuvent aujourd’hui s’élever à plusieurs centaines de milliards de dollars, un montant qui dépasse largement les capacités de couverture sur fonds propres des compagnies d’assurance. Pour être en mesure de couvrir ces sinistres, les assureurs ont donc dû trouver un moyen de transférer à des tiers une partie du risque porté dans leurs bilans.

Un certain nombre de produits dérivés sur risques naturels existaient antérieurement aux Cat Bonds (swaps ou options Heating degree days / Cooling degree days, collars, etc.) mais ils étaient essentiellement utilisés comme des instruments de lissage de bilan face aux aléas climatiques et non comme de véritables couvertures des risques liés aux catastrophes naturelles. L’origination de Cat Bonds va, quant à elle, permettre de faire porter le risque directement aux marchés financiers, selon un mécanisme de titrisation des plus classiques :

  1. La compagnie d’assurance émet des titres de dette obligataires par le biais d’une entité juridique ad hoc (special purpose vehicle) et avec le soutien d’une banque d’affaires. Ces titres sont vendus aux investisseurs et les fonds perçus sont placés sur un compte accessible à l’assureur en cas de réalisation de la catastrophe naturelle déterminée. En contrepartie, les investisseurs perçoivent un coupon annuel correspondant à la rémunération de leur placement assorti d’une prime de risque.

Mécanisme de fonctionnement des Cat Bonds

Deux cas de figure se présentent alors :

 

  1. Les obligations parviennent à maturité (généralement entre 3 et 5 ans) sans que la catastrophe ne survienne. L’ensemble des fonds est alors reversé aux investisseurs.

Absence survenance catastrophe naturelle - Cats bonds

  1. La catastrophe survient. Les encours sont alors débloqués au profit de l’assureur et lui permettent de couvrir une partie du sinistre. Les investisseurs perdent le principal et /ou les coupons restant à verser, selon les stipulations du contrat.

Survenance catastrophe naturelle - Cat Bonds

 

Quelle est leur utilité ?

Pour les compagnies d’assurance, les Cat Bonds présentent trois avantages :

    • Ils constituent une alternative – certes onéreuse – aux contrats de réassurance pour la couverture des risques naturels extrêmes, c’est-à-dire des risques de faible probabilité d’occurrence mais dont les conséquences pécuniaires sont potentiellement très élevées. A noter que la modélisation de cette typologie de risques est particulièrement délicate car il n’est pas possible de leur appliquer les théories actuarielles classiques (loi des grands nombres, théorème central limite, théorème de Borel-Cantelli, etc.). D’un point de vue systémique il est donc bien plus sûr de diluer ces risques de pointe chez un nombre important d’investisseurs que de le concentrer massivement chez quelques réassureurs sur-exposés en cas de catastrophe majeure.
    • Ils permettent aux compagnies d’assurance d’augmenter significativement leurs engagements sans avoir à les porter dans leurs bilans ni à entamer leur solvabilité.
    • Ils sont très liquides et ne présentent pas de risque de contrepartie – contrairement aux contrats de réassurance , pour lesquels on a vu de nombreux défauts de paiement dans les années 2008 et 2009.

Les Cat Bonds présentent cependant un inconvénient par rapport aux contrats classiques de réassurance. En effet, ces derniers sont généralement basés sur les pertes effectives liées au sinistre, et le réassureur verse conséquemment une indemnité correspondant à la sinistralité réelle du portefeuille de l’assureur. Les Cat Bonds, en revanche, présentent souvent un seuil de déclenchement lié à un indice ou à un modèle paramétrique. Le payoff peut donc être largement différents des pertes enregistrées par l’assureur.

Dans la pratique, la plupart des Cat Bonds offrent des mécanismes de remboursement intermédiaires entre la réassurance indemnitaire et la couverture paramétrique pure, comme représenté sur le schéma suivant :

Assurance paramétrique ou indemnitaire - Cat Bonds

Pour les investisseurs, les Cat Bonds sont également intéressants à deux titres :

    • Ils offrent des perspectives de rendements élevés – pouvant dépasser 10% par an, avec un risque intrinsèque généralement considéré comme assez faible.
    • Ils ont le grand avantage de constituer une catégorie de produits financiers a priori entièrement décorrélés du contexte économique et des fluctuations de marché – sauf à envisager un événement climatique d’une ampleur telle que la croissance mondiale en serait globalement affectée. Selon la théorie de Markowitz, ils permettent donc de diminuer significativement le risque d’un portefeuille d’actifs.

 

Quelle est la tendance pour la rentrée ?

Le marché des Cat Bonds est en plein essor. Selon Moody’s, le volume mondial des émissions pour 2013 s’élève à près de 20 milliards de dollars, et le phénomène s’est encore accéléré au cours du premier semestre 2014. L’investissement a généralement bonne presse : il offre de bons rendements, et à ce jour, seules deux émissions ont donné lieu à la perte totale du capital (Kamp Re 2005 Ltd émis par Zurich Financial – suite à l’ouragan Katrina, et Cat bond Muteki 2008 émis par Munich Re – suite au raz-de-marée de Fukushima). Les règlements se sont d’ailleurs fait sans heurts entre les sponsors et les investisseurs.

Un nombre croissant de risques naturels sont maintenant couverts par ce mécanisme : ouragans, tremblements de terre, raz-de-marée, éruptions volcaniques… et même chutes de météorites ! Les assureurs ne semblent toutefois pas versés dans l’occultisme : aucune augmentation significative des émissions de Cat Bonds n’a été enregistrée à échéance de décembre 2012. N’aurait-il pas pourtant été prévoyant de se couvrir avec des produits structurés… contre le risque de fin du monde ?