Sans valeur comptable, la réputation est pourtant un actif précieux dont l’entreprise se doit de prendre soin tant elle est génératrice de valeurs. L’ère du numérique ne lui facilite pourtant pas la tâche : l’information (vraie ou fausse, là n’est pas la question !) se transmet de plus en plus vite et à de plus en plus de monde. Face à cette perte de contrôle, le risk manager est tenté, et on le comprend, de transférer le risque à son assureur. Est-ce vraiment efficace ? Suffisant ?
La réputation vs l’e-réputation : l’apport du numérique en question
Comme j’ai déjà pu l’expliquer dans une étude réalisée pour le CIGREF, « la réputation d’une entreprise résulte d’échanges d’informations la concernant. Ces échanges s’effectuent entre les différentes parties prenantes, présentes dans l’environnement plus ou moins proche de l’entreprise. En effet, ces mêmes informations sont multidimensionnelles, et renvoient à différents facteurs clés distinguant l’entreprise des autres sur le marché. »
Le numérique a déplacé le centre de gravité de la réputation au détriment de l’entreprise. Il a démultiplié les espaces d’expression (espace propre, espace tiers, espace propre sur plateforme tiers,…) et a ainsi contribué à la mutation du rôle des différentes parties prenantes gravitant autour de l’entreprise. Les clients, salariés ou encore des militants peuvent désormais utiliser ces nouveaux espaces pour participer pleinement à la construction de la réputation de l’entreprise. Cette dernière ayant moins de prise sur sa réputation est donc plus exposée au risque informationnel.
Cette plus grande vulnérabilité reste toutefois à relativiser : comme l’ont montré, Yann Gouvernnec et Hervé Kabl, toutes les entreprises ne sont pas égales face à ce risque. Dans leur livre, « les medias sociaux expliqué à mon boss » ils distinguent 4 types de marques : aimées, fonctionnelles, souffre-douleur et sous le radar. La meilleure façon de comprendre ces concepts reste l’exemple.
Sauriez-vous dire à quelle catégorie ces marques appartiennent (voir les réponses à la fin de l’article) ?
1) Apple
2) Solucom
3) Total
4) Bic
Aussi, les community managers de Bic et Total ont plus de souci à se faire que leurs confrères de Solucom et Apple.
Eh oui, les marques fonctionnelles doivent également prendre soin de leur réputation puisqu’elles ont pour caractéristique principale l’absence totale d’affectif entre elles et leurs clients. « Ces derniers estiment en effet normal que l’offre de l’entreprise lui apporte une satisfaction maximale, mais scandaleux que celle-ci éprouve une quelconque défaillance ».
L’assurance, la solution miracle ?
En France, Swiss Life et AXA ont été les premiers à se lancer sur le terrain : les produits qu’ils proposent donnent l’opportunité à leurs clients de jouer à la fois aux postes d’attaquants et de défenseurs. Plus précisément, ils permettent aux entreprises de bénéficier d’un service de veille, de nettoyage des données et, lorsque le mal est fait, de bénéficier d’une couverture des frais juridiques.
Sur le papier, l’offre, parce qu’elle conjugue technique et juridique, paraît complète. Cela n’a pourtant pas empêché Antoine Chéron, avocat associé du cabinet ACBM, de poser la question de l’efficacité juridique et technique de ces produits.
D’un point de vue juridique tout d’abord, la suppression de données ne peut pas être réalisée en un claquement de doigts ! Elle nécessite l’accord de l’éditeur ou à défaut celui de l’hébergeur du contenu litigieux. Si l’information n’a pas de caractère illégal, seule la bonne volonté de ces deux acteurs peut jouer.
D’un point de vue technique également puisqu’en cas de refus, l’assureur peut alors jouer sa deuxième carte, celle de la noyade. Pas celle de l’hébergeur rassurez-vous ! La méthode consiste en fait à reléguer une information à la page de recherches n°2 de Google. Moins radicale, cette méthode est également moins efficace sur la durée car elle nécessite une action perpétuelle. Or, le montant de ces prestations est limitée et par an et par litige.
La légitimité des assureurs ?
La propension des assureurs à (ne pas) gérer leur e-réputation peut également remettre en cause ce type d’offre. Selon Maxime Letribot, associé chez Eurogroup Consulting, les assureurs sont tels les cordonniers, les moins bien chaussés ! Selon lui, ils « commencent à lancer des produits d’assurance pour couvrir le risque de mauvaise réputation sur Internet, mais sont presque plus actifs pour apporter ce type de réponses à leurs clients que pour l’organiser sur leur propre marque ! »
En effet, le secteur de l’assurance rassemblant des marques fonctionnelles, ces dernières ne bénéficient pas par essence d’une « bonne réputation ». Ce phénomène peut même être amplifié du fait de la mauvaise réputation de leurs clients. Aussi, et pour prévenir ce genre de désagrément, Generali propose désormais à ses clients des prestations de conseil afin de les accompagner dans le respect de critères RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Ce faisant, le risque d’image des deux entreprises est amoindri.
En définitive, les entreprises confrontées aux problématiques d’e-réputation, assureurs compris, ont donc intérêt à recourir aux offres que leurs proposent leurs assureurs. Toutefois, aussi bonne soit l’initiative, elle ne saurait être suffisante. Il appartient donc au risk manager de se rapprocher de ses collègues Messieurs (ou Mesdames !) les directeurs des systèmes d’information et de la communication afin d’élaborer une stratégie plus globale.
Réponses :
Marque aimée = Apple – Marque souffre-douleur : Total – Marque sous le radar = Solucom – Marque fonctionnelle = Bic