Faut-il craindre la médecine prédictive ? Bénéfices et limites pour les acteurs de l’assurance
La médecine prédictive était encore une utopie il y a une vingtaine d’année. Elle offre désormais des résultats et des utilisations de plus en plus concrètes et fiables : Les nouvelles techniques de biologie moléculaire et les coûts de plus en plus réduits de décryptage du génome dévoilent de nouvelles perspectives aux chercheurs et aux patients. Aussi, les usages non médicaux intéressent l’État et les organismes d’assurance. Interdite en France, l’exploitation des résultats de tests prédictifs par les assureurs est déjà développée dans certains pays d’Europe et aux Etats-Unis. Cependant, les premières exploitations restent polémiques et soulèvent des questions éthiques quant à l’égalité d’accès des citoyens à une couverture assurantielle et la discrimination génétique.
La médecine prédictive : quèsaco ?
La médecine prédictive désigne l’ensemble des méthodes médicales génétiques et non génétiques (ingénierie génétique, imagerie, biologie…) de prédiction statistique d’apparition de pathologies chez un individu. Chaque test est ciblé sur un type de pathologie précis. Le but est ainsi de définir les probabilités d’un individu de déclarer une maladie au cours de sa vie. L’intérêt de la médecine prédictive est de :
- Pouvoir agir en amont en assurant une prise en charge médicale des personnes à risque pour retarder, voire empêcher, l’apparition d’une maladie ;
- Assurer un contrôle resserré d’un patient pour détecter rapidement les signes d’apparition d’une maladie.
Les tests prédictifs vont du contrôle du taux de cholestérol dans le sang, à l’analyse des gènes d’un individu. En l’état actuel des recherches, aucun test prédictif n’a un indice de fiabilité supérieur aux autres.
Des usages de la médecine prédictive pour l’Etat et les assureurs
Au-delà des gains évidents en matière de santé publique pour l’Etat, la médecine prédictive présente un fort potentiel pour les compagnies d’assurance. La mise en place de plan de prévention individualisé par l’Assurance Maladie serait une première utilisation possible. En fonction des pathologies testées, des spécialistes de la santé (nutritionniste, kinésithérapeute…) pourraient intervenir pour :
- Assurer une suivi médical spécifique du patient ;
- Conseiller les patients et introduire des changements dans leur mode de vie (régime alimentaire, tabac).
Les risques de déclencher une pathologie pourraient être ainsi mieux maîtrisés. Les bénéfices pourraient être aussi notables pour la branche AT-MP de la Sécurité sociale. Le nombre de maladies professionnelles est toujours à la hausse (+5,1% de victimes indemnisées) avec un impact fort pour les entreprises (absentéisme, baisse de la productivité…).
Les tests prédictifs permettraient d’identifier des maladies à venir chez un salarié et de déclencher un plan individualisé de prévention. Les TMS (Troubles Musculo-Squelettiques) représentent plus de 80 % de l’ensemble des maladies professionnelles ayant entraîné un arrêt de travail ou une réparation financière en raison de séquelles. Bien qu’elles soient la conséquence de gestes répétitifs ou de mauvaises positions de travail, elles sont aussi favorisées par les caractéristiques de l’individu telles que sa constitution ou son génome. La détection en amont d’un TMS grâce aux tests prédictifs permettrait d’adapter le poste de travail pour soulager certains muscles susceptibles d’être affectés et de prévenir la maladie. L’État aussi bien que les entreprises pourraient y gagner en réduction du volume des remboursements et en gain de productivité.
Du côté des assureurs privés, l’utilisation des résultats issus de la médecine prédictive est polémique. En effet, le code des assurances interdit en France d’utiliser les résultats de tests génétiques, même si ces résultats sont transmis par l’assuré lui-même. Un moratoire sur l’utilisation des résultats des tests génétiques a aussi été décrété par les assureurs eux-mêmes. Cependant, une exploitation encadrée pourra être profitable aux assurés et aux assureurs.
Le métier de l’assureur est de calculer avec précision le risque moyen de la population qu’il couvre et de faire payer à chacun la prime permettant un bénéfice compte tenu du risque individuel estimé d’après les informations disponibles (risque moyen lié à l’âge, le sexe…). La principale difficulté de l’assureur est de collecter des informations fiables sur le prospect. Cependant, l’asymétrie d’information entre l’assureur et le prospect peut fausser les calculs actuariels utilisés pour définir la couverture de risque (anti-sélection). L’exploitation des tests génétiques permettrait d’identifier les risques génétiques des individus, fiabiliser les calculs et d’ajuster les primes d’assurance avec les niveaux plus factuels de risque. Les primes payées par les assurés seraient ainsi plus ajustées à leur degré de risque. Pour les actuaires, l’exploitation des résultats anonymisés de tests génétiques permettrait de fiabiliser leur modélisation en utilisant des données prédictives sur les différentes maladies testées. Les rôles et responsabilités concernant l’anonymisation et le stockage des données collectées restent à déterminer.
De nombreuses difficultés à dépasser
Bien que prometteuse sur le papier, la médecine prédictive a des écueils à surmonter avant de pouvoir être exploitée à grande échelle. La fiabilité des tests peut être questionnée : leur précision pour prévoir le déclenchement d’une maladie multifactorielle est perfectible. De plus, ils ne sont pas en mesure de prévoir l’âge de déclenchement d’une maladie ou sa gravité (handicap…). Dans le cas de faux positifs ou faux négatifs, les conséquences et impacts sur la vie des patients peuvent être importants. Une personne « sans risque » pourrait adopter des comportements préjudiciables et une personne peut se voir prescrire un traitement médicamenteux à long terme nuisible pour une maladie qui ne se déclarera jamais. Surtout, la médecine prédictive n’apporte pas de réponse au patient dans le cas d’une maladie incurable. L’impact psychologique sur ces patients est aussi à prendre en compte.
La question du coût de développement de l’utilisation des tests prédictifs est difficile à évaluer. Elle dépend du nombre de personnes atteint par une maladie, des moyens de prévention existants, du coût des tests (achat des kits, mise en œuvre…) et du coût du suivi médical des personnes identifiées (examens complémentaires…). Elle devra bien mettre en balance les gains obtenus grâce aux tests génétiques en termes de qualité et d’espérance de vie avec les coûts de développement et mise en œuvre.
La médecine prédictive pose une dernière question éthique. La tentation de corréler le niveau des cotisations au niveau de risque individuel est grande. De même, les assureurs pourraient refuser une assurance ou alourdir les primes. Une partie de la population risque d’être exclue du système d’assurance et serait alors fortement fragilisée . La lutte contre la discrimination génétique devient alors essentielle. Plusieurs approches existent en Europe allant de la prohibition de toute utilisation d’informations génétiques par les assureurs à l’utilisation d’information génétique au-dessus d’un certain seuil de prime. Concernant ce dernier point, pour exemple en Allemagne, l’utilisation des résultats est autorisée pour les contrats d’assurance vie, d’assurance invalidité et d’assurance dépendance, à condition que les montants garantis excèdent 300 000 euros pour un versement en une fois ou 30 000 euros pour une rente annuelle. Toute la difficulté est de trouver un juste équilibre entre les assureurs et les assurés pour conserver un intérêt à l’utilisation des tests sans introduire de forme de discrimination génétique. La méfiance de la population est forte sur ce sujet :
Vers un changement de modèle ?
La médecine prédictive recèle d’un grand potentiel aussi bien pour les citoyens, l’État ou les organismes d’assurance. Des obstacles concernant la fiabilité des résultats ou la discrimination génétique seront à surmonter pour espérer une généralisation des tests génétiques. L’essor des objets connectés de type Quantified Self permet la mise à disposition d’un ensemble de données sur le comportement des individus de plus en plus important. Ces données et les résultats des tests prédictifs pourraient être croisés pour obtenir des analyses plus pertinentes.
A long terme, la médecine prédictive à long terme présente un changement de paradigme dans le système de santé dominant : le système glisserait d’un modèle curatif de soin à une vision plus préventive : les mesures mises en place permettraient d’agir pour empêcher l’apparition des maladies plutôt qu’uniquement les soigner. Les laboratoires pharmaceutiques devront ainsi s’adapter pour ne pas disparaitre. Déjà engagés dans la production des tests prédictifs, ils pourront aussi s’ouvrir au marché qui est amené à éclore dans les années à venir : le marché des médicaments de prévention. Toute notre vision de la santé et des soins serait ainsi complètement à revoir.