La Directive Européenne aux 3 Piliers hante actuellement l’esprit des acteurs du monde de l’Assurance, face à la charge et au coût nécessaire pour la mise en conformité ; et ce, pour tous les corps de métiers : Informatique, Comptabilité, Finance, Service Techniques.

Critiquée par certains comme étant trop rigide ou perçue parfois comme le tribut imposé aux Assureurs pour éviter les dérapages dont le monde de la banque a souffert ; peut-elle se révéler être un réel atout pour l’activité opérationnelle et son pilotage ?

Contrainte règlementaire ou levier stratégique pour les assureurs ? Voici un aperçu qui permettra de démystifier la Directive Solvabilité 2.

Les enjeux de la Directive Solvabilité 2

Établie par l’EIOPA[1], superviseur assurantiel européen, la Directive Solvabilité 2 a pour enjeu d’harmoniser et de soutenir le marché de l’assurance européen, en garantissant la solvabilité des assureurs, c’est-à-dire leur aptitude de faire face à leurs engagements envers les assurés. Elle introduit une approche nouvelle par rapport à la Directive Solvabilité 1, sur la manière de valoriser le bilan et la mise en place d’un système global de gestion des risques.

Pour optimiser la performance et réduire le risque de faillite dans le secteur de l’assurance, la Directive se structure en 3 Piliers :

 solva2 - 01

  • Le Pilier 1 : les exigences quantitatives. Pour donner une vision de la solvabilité des assureurs, et pour harmoniser les données des différents acteurs européens, l’EIOPA a mis en place deux indicateurs de la solvabilité :

–       Le MCR (Minimum Capital Requirement) : niveau de fonds propres minimal en dessous duquel les intérêts des assurés se verraient sérieusement menacés si l’entreprise était autorisée à poursuivre son activité. Ainsi, si les capitaux propres d’une entreprise deviennent inférieurs au MCR, le régulateur interviendra automatiquement pour mettre en place un plan de redressement.

–       Le SCR (Solvency Capital Requirement) : niveau de capital nécessaire à la continuité d’activité, et plus précisément au niveau de capital qu’il faut posséder à minima pour limiter la probabilité de ruine de l’assureur à moins de 0,5 % par an.

Pour donner une vision de la solvabilité qui soit la plus fiable possible, de nouvelles normes de calcul ont été définies, pour l’évaluation notamment des actifs (valeur de marché) ; et des passifs, en best estimate, ce qui correspond à l’évaluation économique des engagements de l’assureur.

 Illustration : Du bilan comptable au bilan économique (Solvency II)

Solva2 - Bilan

  • Le Pilier 2 : les exigences qualitatives. Ce pilier implique la mise en place d’un dispositif interne de maîtrise de tous les risques (financiers, techniques, opérationnels) auxquels peut être confronté un assureur ; pour qu’à tout moment il puisse avoir une vision précise de l’état de sa solvabilité. Et les régulateurs nationaux contrôleront ces systèmes de maîtrise des risques, qui reposent sur les principes suivants :

–       Mise en place de fonctions clés (Actuariat, Audit interne, Conformité et Gestion des risques)

–       Gouvernance saine prudente et effective

–       Politique de qualité des données

–       Mise en place de l’ORSA (Own Risk and Solvency Assessment) : dispositif interne de maîtrise des risques

  • Le Pilier 3 : la communication financière, qui introduit le principe de discipline de marché, les exigences sont la publication d’informations précises et détaillées sur l’activité de l’assureur. L’ensemble des acteurs européens doit renseigner les mêmes types de modèles, permettant une meilleure transparence du marché et une comparabilité simplifiée entre les acteurs.

Ces informations doivent être fournies périodiquement par le biais de deux types de document, à transmettre par l’assureur :

–       Des rapports « narratifs », qui donnent une vision descriptive de la politique prudentielle mise en place par l’assureur. Dans ce cadre, deux rapports narratifs sont à produire, l’un public, le SFCR (Solvency Financial and Condition Report), l’autre plus complet destiné exclusivement au superviseur, le RSR (Regulator Supervisory Report)

–       Des reportings quantitatifs : appelés QRT[2], il s’agit de tableaux de bord dont les données ont été définies par l’EIOPA, ils couvrent les principaux domaines d’activité d’un assureur : Gestion d’actifs, Provisions techniques, Fonds propres, Bilan, Programme de réassurance, Analyse de variations… Au total, près de 5000 données sont demandées, dont 25% à fréquence trimestrielle, le reste étant à périodicité annuelle.

 Tous ces modèles sont téléchargeables sur le site de l’EIOPA

 Illustration : Nombre de QRT à renseigner par famille d’états

solva 2 QRT

Le calendrier de la réforme se précise

Reportée à plusieurs reprises face aux délais de mise en place, la mise en vigueur de la Directive est désormais prévue pour le 1er janvier 2016 (instaurée par la Directive Omnibus II votée en février 2014 par le Parlement Européen). Le délai de mise en conformité se réduit donc pour les assureurs, et aucun autre report ne semble envisageable puisque la Directive devrait être transposée en droit français par le superviseur Français, l’ACPR[3], d’ici mars 2015.

Et jusqu’à cette date butoir, l’ACPR a mis en place un calendrier de travaux préparatoires, pour faire converger progressivement les entreprises vers les exigences de la Directive. Ces travaux concernent les points suivants :

–       Les reportings : comme en 2013, l’ACPR demande de remettre pour septembre 2014 une quinzaine de QRT, avec cette année, la possibilité de les remettre au format cible XBRL.

–       L’ORSA : un tir à blanc de l’ORSA est également demandé aux assureurs pour septembre 2014

–       Les modèles internes pour calcul du SCR

Globalement, si de nombreux retards dans les travaux de mise en conformité étaient constatés auparavant ; depuis la mise en place des exercices préparatoires en 2013, les acteurs du marché français semblent en ordre de marche pour être en conformité en 2016. Les travaux sur le Pilier 1 sont bien avancés chez la quasi-totalité des acteurs, l’essentiel des efforts aujourd’hui se concentre sur le Pilier 3.

Illustration : Organisme se déclarant prêt à plus de 50% par Pilier (source ACPR)

solva 2 ACPR

 

Les impacts sur les entreprises

Souvent critiquée sur son approche trop prudentielle, pouvant être un frein pour les assureurs, la Directive Solvabilité 2 a néanmoins donné lieu à beaucoup de travaux pour la mise en conformité chez tous les acteurs.

Les différentes études d’impact ont d’ailleurs montré que globalement les assureurs du marché français ont un niveau de capitaux propres qui est quasi constamment au-dessus des exigences prudentielles, et ce près de deux ans avant l’implémentation de la Directive.

De manière générale, l’ampleur des travaux déjà entrepris ou encore en cours pour se mettre en conformité à la Directive est très importante. En effet, les assureurs sont confrontés à des thématiques nouvelles pouvant pousser à revoir les outils informatiques dans leur globalité. C’est particulièrement le cas sur la récolte des données nécessaires à l’élaboration des QRT, car elles doivent être mises dans des formats ou segmentées selon des critères qui n’étaient pas pris en compte auparavant dans les systèmes d’informations : nouvelle segmentation des titres financiers, appelés code CIC[4], ou encore nouvelle classification des engagements clients en Line of Business (LOB)

Mais force est de constater que ces travaux de mise en conformité peuvent représenter l’occasion pour les assureurs de s’interroger sur leur système de pilotage, et que les apports peuvent aller au-delà de la simple mise en conformité. Certains acteurs pourront donc utiliser ces travaux pour adapter également leurs outils de pilotage et éprouver la performance de leur système d’information.

 

Au-delà des contraintes imposées, Solvabilité 2 doit s’avérer bénéfique pour les assureurs, en mettant les travaux à profit pour une refonte de la politique prudentielle, avec de réels apports en termes de maîtrise des risques et de qualité de données notamment.


[1] European Insurance and Occupational Pensions Authority

[2] QRT : Quantitative Report Template

[3] Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, auparavant nommé simplement « ACP »

[4] CIC pour Complementary Identification Code