Le phénomène Big data n’en finit plus de secouer notre modèle économique. Mot d’ordre de la révolution numérique en cours au sein de nos entreprises, il promet une profonde transformation des secteurs et pose la question de l’impact de telles avancées sur les métiers de demain, notamment dans le monde de l’assurance, dont le modèle repose sur l’exploitation de la donnée. Face aux profondes transformations promises par cette technologie, comment imaginer le métier d’assureur de demain ? Quelles problématiques soulève l’extension de telles pratiques ?    

 

Des capacités de connaissance du risque accrues

Les capacités offertes par le Big data pourraient remettre en question l’ensemble du business model propre à l’assurance. Alimentés par la connaissance de l’assuré et de ses risques, les modèles de calculs du risque, au cœur de l’activité des assureurs, ont vocation à être totalement refondus. En effet, le volume de données numériques récoltées via une diversité toujours plus grande de canaux a explosé ces dernières années : une aubaine pour les assureurs qui voient dans ce foisonnement d’informations la possibilité de connaître de manière très fine chaque assuré et le risque qu’il porte.

C’est notamment l’accès à des données contextuelles qui change la donne, dans la mesure où elles offrent une information diversifiée et en temps réel. Issues de nouveaux canaux comme les réseaux sociaux, l’accès à cette masse de données devrait permettre aux assureurs, grâce à des technologies comme le data mining ou l’analyse prédictive, de construire des offres hyper-personnalisées, collant de près à la probabilité de survenance des risques des souscripteurs analysés.

Quel impact sur les métiers de l’assurance ?       3d Männchen Wegspaltung

Les potentialités du Big data revêtent deux formes principales : une refonte de l’offre tout d’abord, puisque les assureurs pourront proposer des garanties en adéquation avec le profil de l’assuré, et ajuster les tarifs en fonction des comportements individuels, grâce à une segmentation et un ciblage plus précis de leur portefeuille. Le catalogue de services devrait également subir une profonde transformation : la concurrence accrue sur le marché de l’assurance, alliée aux nouveaux comportements et attentes des assurés, plus informés, volatiles et naviguant entre les canaux, invitent les assureurs à innover en matière de services.

Les assureurs l’ont compris, les nouvelles technologies seront le moteur de cette transformation. La révolution des objets connectés joue un grand rôle en ce sens : ils sont en effet une mine d’or à disposition des assureurs, leur donnant les moyens de suivre les moindres faits et gestes de leurs propriétaires. La maîtrise des risques affutée qu’ils pourraient permettre laisse entrevoir l’apparition d’un modèle d’assurance comportemental et serviciel qui bénéficierait aux deux parties : l’assureur pourrait anticiper et réduire les risques de son portefeuille, renforçant son rôle de prévention des sinistres, et l’assuré profiterait de services innovants capables de l’accompagner dans son quotidien, voire de le coacher. De telles pratiques existent déjà,  comme l’application américaine de santé Pact qui, en récupérant les données d’objets connectés comme le FitBit, récompense ou pénalise financièrement ses utilisateurs.   

Plus largement, c’est la relation entre assureur et assuré qui pourrait être bouleversée. La position de l’assureur aujourd’hui, qui se résume souvent à celle du payeur, interagissant avec son assuré en cas de sinistres, semble se déplacer vers une relation plus positive d’accompagnateur et de coach dans le quotidien de l’assuré, développant les dispositifs de prévention au sein d’une offre de service plus étoffée.

 

Réussir la transformation : à quelles conditions ?

Malgré cette promesse de transformation du métier de l’assurance, le modèle même de son déploiement reste à définir. En effet, malgré un intérêt évident des acteurs du marché pour la technologie Big data, beaucoup manquent encore de maturité sur le sujet. La gouvernance des données est la problématique maîtresse aujourd’hui : récolter la donnée via des canaux multiples oui, mais comment vérifier l’information, la trier, la sélectionner ? Quelles organisation et méthodes de travail mettre en place au sein de l’entreprise ? Autant de questions qui n’ont pas encore toutes leurs réponses. Des partenariats seront en tous cas à tisser avec les fournisseurs de ces technologies (GAFA, start-ups, industriels de la santé et des télécoms…) afin de capitaliser sur les différents savoir-faire.

Cette utilisation de la donnée client dans un objectif de prévention implique par ailleurs de gagner la confiance de l’assuré. Les assureurs marchent pour l’instant à pas feutrés sur cette question sensible, à l’instar d’Axa qui prend le virage du digital avec précaution : « Pour l’instant, nous ne tarifons pas sur la base d’informations télématiques. Un jour, ce sera possible, mais il faudra que cela se fasse avec l’accord du client », affirme Véronique Weil sur Newsassurace, Directrice des opérations, qui insiste également sur l’importance de la sécurité des données. Et pour cause, si les français sont globalement ouverts à des tarifications ajustées à leur comportement dans le domaine du IARD , 70% s’inquiètent de la collecte de leurs données personnelles. A la possible méfiance des assurés s’ajoute enfin un défi juridique : les règles anti-discrimination en matière d’assurance en France freinent aujourd’hui l’individualisation à l’extrême des offres et tarifs et les pratiques d’assurance sélective, en interdisant par exemple la pénalisation des « mauvais profils » en matière de santé. Par ailleurs, la CNIL maintient des règles relativement strictes en matière de protection de la vie privée. Le développement de la prévention se déroulera donc pour l’instant sur la base de services optionnels nécessitant l’accord des clients.

Ainsi, si le Big data représente un monde plein de promesses et de potentialités, il reste encore un terrain en friche sur lequel tout est à construire. Dans le monde de l’assurance, les possibilités qu’il offre pourraient se heurter aux limites du droit et du possible. Il est néanmoins certain qu’il transformera le métier des assureurs en faveur de pratiques de prévention, au bénéfice des deux parties. A condition que son encadrement et les mentalités évoluent parallèlement à ses avancées !