Après la parution en Juin dernier de son Baromètre prospectif, l’Observatoire de l’Évolution des Métiers de l’Assurance (OEMA) publie en cette fin d’année une étude qui analyse sous l’angle socio-technologique l’impact des nouvelles technologies sur les comportements consommateurs. Ces changements impliquent de nouvelles manières de consommer, auxquelles les entreprises doivent s’adapter pour rester compétitives. En particulier, dans le monde de l’assurance, l’ensemble des métiers s’en trouve impacté. Mais dans quelle mesure? Assistera-t-on à une révolution de la structure d’entreprise en assurance, ou est-ce que l’évolution des outils ne changera que dans une faible mesure la finalité des métiers existants?

L’ère digitale : des changements de comportements tangibles

Avec le développement exponentiel d’internet, il est aujourd’hui possible d’accéder à tout type d’information, tout de suite, depuis n’importe où, gratuitement. Une nouvelle manière de partager et de consommer l’information, et une nouvelle devise pour chacun : « Anytime, anywhere, any device, any content » ou ATAWADAC.

L’étude souligne le « paradoxe d’un individualisme communautaire », ou comment l’Homme, qui défend de plus en plus ses intérêts personnels, a tout de même su tirer parti des possibilités d’internet pour mettre en place un réseau communautaire sans limite, sans frontières. Le parallèle entre les réseaux sociaux et l’agora grecque, première place d’échanges, prend tout son sens.

Si, in fine, par le partage d’information dans des communautés on cherche plus à assouvir son besoin de reconnaissance qu’à faire preuve d’altruisme désintéressé, un des effets les plus frappants de cette tendance est le rééquilibrage des forces entre les entreprises et les consommateurs. La situation vendeur sachant versus client non-initié se raréfie. Ce nouveau pouvoir d’information, couplé au contexte d’hyper-concurrence, permet au client de pouvoir exiger un service de qualité au meilleur prix.

On pourra citer comme exemples les sites comparateurs (d’assurances) ou encore l’essor de la « sharing economy » (Blablacar, AirBnB, …) qui offrent aux consommateurs des outils pour consommer mieux, moins cher, et poussent les acteurs ‘traditionnels’ à revoir depuis leurs offres jusqu’à leur organisation d’entreprise pour réagir face à un rapport de forces vendeur / client presque inversé.

Pour l’assurance, adapt or die ?

Si les nouvelles technologies entraînent des évolutions de comportements, elles permettent aussi aux assureurs de réagir face à ces défis d’adaptation.

Pour survivre en contexte d’hyper-concurrence du marché, il faut d’abord savoir limiter la volatilité du client. Pour cela, plusieurs leviers existent, dont l’optimisation des coûts de production de l’offre, ou encore l’augmentation de la satisfaction client. Parmi les pistes prometteuses offertes par le digital, on retrouve :

  • Limiter le temps alloué à des tâches à faible valeur ajoutée. La dématérialisation automatisée de l’information ou encore la reconnaissance vocale  permettent de rediriger plus de temps sur des actions à plus forte valeur ajoutée.
  • Jouer sur l’agilité dans l’organisation du travail, en profitant du désir croissant d’autonomie des salariés et du développement des solutions de mobilité. Le développement du télétravail est une piste naissante et prometteuse. On peut aussi citer la démocratisation des équipements pro / perso, qui permet la quasi-immédiateté de la prise en charge des demandes client.
  • Centraliser les ressources. La répartition géographique des agences d’assurances répond à l’ancien besoin de proximité physique entre l’assureur et l’assuré. Le numérique permet désormais de s’affranchir de la distance géographique (vidéoconférences, skype, …). On peut dès lors imaginer de limiter le nombre d’agences (voire de s’en passer, à l’instar des banques en ligne).
  • Personnaliser l’offre et le service.En extrayant l’essence de l’information client (grâce au Big Data), il est désormais possible d’offrir des services personnalisés selon la situation de chaque client, et de provoquer des interactions contextualisées avec l’assuré. « Ceux qui contrôleront les données et sauront les utiliser détiendront la valeur ajoutée ». Appliqué au domaine de l’assurance, cela soulève tout de même un paradoxe, car l’offre d’assurance est construire sur le principe de mutualisation des risques. Il faut donc trouver le bon niveau entre personnalisation et mutualisation.
  • Proposer des offres innovantes. La démocratisation des objets connectés va permettre d’aller dans le sens de la personnalisation de l’offre. Voitures connectées, domotique ou e-santé sont autant de nouvelles technologies qui permettent de recueillir des informations sur le mode de vie. En prenant garde de ne pas s’immiscer dans la vie privée de l’assuré, cela permet par exemple de proposer un ‘socle’ d’offre d’assurance, dont une part variable de la franchise pourrait dépendre d’éléments qualitatifs et quantitatifs (kilomètres parcourus, qualité de la conduite, consommation d’énergie, nombre de pas par jour, …)
  • Indemniseren nature. D’importance capitale pour l’assureur, c’est au moment de l’indemnisation que l’assuré peut réellement évaluer la capacité de son assureur à réparer rapidement et  de manière adaptée un dommage. Il y a dans l’indemnisation en nature un double effet positif : Cela permet à l’assuré de revenir plus rapidement à la situation avant sinistre, ce qui sa satisfaction, et les partenariats pouvant être passé entre l’assureur et des fournisseurs permettent d’optimiser les coûts de réparation.

Quelles que soient les pistes retenues, c’est par la digitalisation que les assureurs répondront aux nouveaux besoins sociétaux crées par le numérique.

Les métiers impactés mais pas révolutionnés

L’étude de l’OEMA évalue les impacts métier en utilisant l’approche par la chaîne d’activités de l’assurance. Comme nous allons le voir, au niveau de tous les chainons, le développement et l’implantation des technologies permettent de réaffirmer ce constat : l’importance de l’humain dans les relations.

D’abord, pour les métiers de la conception de produits et services (dont marketing et actuariat), la finalité ne change pas : il s’agit toujours de construire et faire évoluer les offres en se basant sur une forte compréhension du marché et une segmentation efficace de la clientèle.

Cependant, les outils disponibles et compétences demandées évoluent. Pour le marketing, les outils de CRM (basés sur la technologie Big Data) permettent une consolidation et exploitation plus fine des bases de données clients, et donc une meilleure segmentation de la clientèle. Des qualités de webanalyst et de dataminer peuvent donc s’avérer utiles. Des notions de sociologie peuvent aussi permettre une analyse plus fine des comportements sociaux afin de proposer des offres en ligne avec les attentes. Côté actuariat, comme nous l’évoquions précédemment,  l’assuré recherche non plus un simple contrat qui couvre ses sinistres mais aussi les possibilités de suivi (multicanal, réseaux sociaux) et l’accompagnement qui vont avec. Le calcul du prix du contrat prend donc en compte de nombreux nouveaux éléments, bien moins quantifiables.

De même, les métiers de la distribution sont largement impactés par le digital. Pour le commercial, il est désormais quasiment impossible de décrocher un premier rendez-vous de prospect avec pour objet une présentation des différents produits offerts : tout est déjà en ligne. Les questions des clients, s’il en reste, sont beaucoup plus pointues, et forcent donc le commercial à une expertise dans son domaine. Mais les outils de mobilité (smartphone ou tablettes connectées au cloud) peuvent l’aider à apporter une réponse quasi-immédiate à toute question, aussi pointue soit elle. Ce n’est cependant pas une révolution des métiers de la distribution, mais une évolution dans la dépendance aux outils informatiques, entamée il y a déjà longtemps.

Ensuite, les métiers de la gestion des contrats et prestations doivent d’abord faire face à cette prise de pouvoir du client. La qualité  de service ne s’apprécie plus sur des critères quantifiables (taux de réponses, délais, …) mais davantage sur la satisfaction client, qui impose des interactions rapides, transparentes et pertinentes. La proximité client est primordiale, la période de gestion des contrats en back-office est révolue. La gestion d’un contrat est désormais co-conduite entre l’assureur et l’assuré. Enfin, le désir de l’assuré d’avoir à faire à un interlocuteur unique fait peser sur celui-là un sentiment accru de responsabilité vis-à-vis du client.

L’ère du digital aura aussi pour effet d’accentuer le besoin de proximité entre le manager et ses équipes. La vitesse de changement des processus imposée aux chaînes de conception / production / relation-client demande au manager une compréhension du concret de ces nouveaux processus. Cela lui donnera une légitimité dans la conduite du changement, que la seule position hiérarchique ne suffit plus à asseoir. Comme nous l’avons aussi vu précédemment, la tendance aux nouveaux modes de travail (dont le télétravail) pose aussi la question d’un nouveau management, à distance.

Enfin, tous ces changements ne seraient pas envisageables sans une implication forte des services RH. Les nouveaux profils recherchés tout au long de la chaîne de l’assurance forcent un recrutement plus ciblé, un mode de sourcing plus diversifié. L’innovation est aussi probablement le meilleur moyen de toucher les profils parfaits : hackathons, gamification. Autant de nouvelles pratiques qui attirent les nouvelles générations férues de numérique et d’innovation.

À travers l’étude de cette année, l’OEMA rapproche les évolutions technologiques des impacts sociétaux. Ces impacts se répercutent donc non seulement sur les métiers de l’assurance mais aussi sur les assurés. Si on ne parlera pas de Révolution mais plutôt d’une accélération de la mutation du secteur, il y aura dans les années qui viennent un virage que les assureurs ne voudront pas rater afin de pouvoir rester dans la course. Les récents investissements des compagnies d’assurance dans le digital montrent que ce risque est bien dans toutes les têtes.